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Les prévisions météo pour cette fin avril étaient vraiment calamiteuses. C'est
au moins la troisième fois que nous sommes obligés de reporter une balade au
week-end suivant pour cause de mauvais temps. Alors, quand il a vu le ciel bleu
à son réveil, mardi matin 1er mai 2001, Richard, réveillé de bonne heure par le
coup de téléphone de Sylvie, impatiente, a passé sa matinée à battre le
rappel, et nous nous sommes retrouvés plus d'une trentaine de personnes,
adultes et enfants confondus, au pied du Monhoa en tout début d'après-midi.
Il y avait les fidèles, ceux du noyau dur, qui sont de toutes les sorties, quelle
qu'en soit la difficulté, et il y avait les autres, chargés d'enfants,
accompagnés d'amis, que le soleil avait fait sortir comme perce-neige au
printemps. Nous avons roulé plus d'une heure, admirant au passage les couleurs
encore tendres des feuilles et les acacias en fleurs, puis nous avons pointé
droit vers la montagne aux sommets blanchis par les récentes chutes de neige,
jusqu'à Saint Etienne de Baïgorri. La petite voiture rouge de Richard a
obliqué sur la gauche, durant 200 mètres, puis elle a fait le tour complet du
petit rond-point, suivi par les sept autres (un vrai convoi) : c'était une
erreur. Un peu plus loin, il a trouvé la bonne route, nous sommes passés sous
un pont étroit et avons suivi une voie longée de murets de pierres de part et
d'autre, où il était impossible de se croiser. La pente s'est accentuée
rapidement et l'écart entre les voitures s'est creusé. Au milieu, l'une
d'elles s'est carrément arrêtée : Sylvie avait omis de faire le plein et ne
pouvait plus monter, faute d'essence ! Les passagers se sont répartis dans les
voitures restantes et la queue du peloton a fini par arriver au col de Leizarze, point de
départ de la randonnée.
Avant la marche, chacun a fait un pari sur le temps : il faut dire que ce n'était pas
le grand bleu franc et stable. Lors d'une halte un peu plus bas, nous avions
senti un petit vent aigrelet qui avait pris la fraîcheur de la neige au sommet
des montagnes, et les nuages, sans être menaçants, planaient au-dessus de nos
têtes. Jean-Luc, comme d'habitude, est resté en tee-shirt. Quant à moi,
j'avais endossé mon sweat-shirt, un pull épais, et l'anorak ! Les autres ont
pris toutes les options entre nos deux extrêmes.
Ces randonnées en montagne sont toujours un enchantement pour les yeux. Le
contraste des couleurs printanières, les moutons qui broutent en parcourant
lentement les flans de la montagne, les pottoks, plus ou moins farouches, et les
vautours au-dessus de nos têtes offrent un cadre idyllique pour une détente
sportive et sereine. Nous avançons sans nous presser, en prenant le temps
d'admirer les tapis de pâquerettes piquetés de touffes de violettes timides et
rares. Les asphodèles dressent leurs longues hampes et offrent leurs grappes de
fleurs blanches aux insectes butineurs et de multiples ruisselets sont retenus
parfois dans un méplat en un petit marécage où écloront bientôt des
myriades de têtards, petites virgules sombres et mouvantes, sur fond de mousses
vertes ou rousses.
Nous devisons par petits groupes, passons de l'un à l'autre, échangeant les
nouvelles depuis la dernière balade faite en commun. Nous faisons connaissance
avec les nouvelles recrues et les garçons courent et chahutent, tandis que les
filles discutent en marchant. Le Monhoa, aux consonances tahitiennes, n'est pas
très haut ni très escarpé, d'autant que nous avons pu garer les voitures à
une altitude suffisante pour ne pas avoir un dénivelé trop important à
parcourir à pied. Il fait face à l'Adarza, dont l'ascension a été
programmée, puis reportée trois fois ce mois d'avril, en raison du mauvais
temps. De petits tas de neige subsistent par endroits, dans les creux à l'abri
des touffes d'herbe, face au nord, et font la joie des enfants. Au sommet, ils
réussissent même à confectionner un mini bonhomme de neige et se bombardent
avec le reste, prenant sans crainte les boules glacées directement à main nue.
Nous partageons nos victuailles et faisons un goûter plantureux, avant de
retourner en faisant une boucle pour éviter de
simplement rebrousser chemin. Nous traversons un chaos de grands rochers moussus
sur une pente garnie de chênes aux branches basses qu'il nous faut écarter
pour nous frayer un passage, en manquant de nous tordre la cheville sur les
débris rocheux glissants enfouis sous le tapis épais de feuilles mortes brunes
de plusieurs automnes, craquantes et sèches sur le dessus, mais en pleine
décomposition et humides au-dessous. Lorsque nous arrivons en vue des voitures,
légèrement au-dessus de nous, la pluie recommence à tomber en gouttes
éparses : il était temps ! Nous nous retrouvons à Saint Etienne de Baïgorri
autour d'un chocolat chaud fumant accompagné d'un délicieux gâteau basque, à
la croûte légèrement craquante et la crème onctueuse et parfumée à souhait
pour clore l'après-midi, tandis que la pluie tambourine sur la place,
interrompant la partie de rebot des villageois au fronton.