Je
trouve les Espagnols extraordinairement bons en publicité. A propos
de villes ou de monuments dotés de peu de choses remarquables, ils
réussissent à en parler tellement bien que tout le monde se
presse pour les voir. A Santo Domingo de la Calzada, je n'ai vraiment trouvé
intéressant (mais je n'ai pas parcouru tout le village) que l'arrière
de l'église qui comporte des sculptures romanes très originales,
dont les personnages étaient encadrés de sarments chargés
de grappes. En ce qui concerne le monastère de Suso, il ne reste
en tout et pour tout qu'une grotte (où Saint Millan avait passé
sa vie centenaire au VIème siècle et fondé une communauté
religieuse) fermée par une chapelle de petite taille (érigée
à la mémoire de Saint Millan au Moyen-Age) avec trois arcs
de style arabe (mudéjar) et deux arcs romans en plein cintre, toute
la décoration ayant été brûlée dans un
incendie causé par les armées d'Al Mansour (si je me souviens
bien du commentaire du préposé à la visite).
Le
monastère de Yuso
est plus récent (construit au XIème siècle plus bas
dans la vallée par les moines qui se sentaient trop à l'étroit
à Suso et rebâti aux XVIème et XVIIème siècle).
Les rares objets qu'il contient sont d'une qualité inestimable. J'ai
particulièrement apprécié les quelques "livres"
que l'on nous a laissé regarder (sans les ouvrir) : des monstres
de 60 à 120 kg, de dimensions 60 x 100 x 10 cm au minimum, dont les
pages étaient en peau d'agneau et la couverture en bois et cuir il
me semble. Il faisait très froid à l'intérieur du monastère
et nous avons cru la guide sans peine lorsqu'elle nous a dit que le principal
souci des moines, relativement à la conservation de ces précieux
livres, était l'humidité. Ils les rangeaient donc dans des
placards creusés dans l'épaisseur des murs, fermés
de portes de bois, et posés sur des planches à claire-voie
au-dessous desquelles étaient placées des pierres poreuses
qui captaient l'humidité. Le deuxième ennemi était
les souris.
Une
chattière avait donc été percée dans le mur
qui donnait accès à l'espace inférieur (où étaient
les pierres) afin d'y remédier. Je regrette beaucoup de n'avoir pu
admirer la bibliothèque dont l'accès est réservé
aux chercheurs et universitaires. Elle renferme plus de 300 documents datés
du XIe au XVe siècle, des incunables, des codex des XIIe et XIIIe
siècles, etc.
Nous avons pu voir un pupitre quadruple rotatif, d'un diamètre de deux mètres au moins sur trois mètres de hauteur, sur lequel était posé le livre de cantique en quatre exemplaires j'imagine, de façon à ce que tous les moines placés autour en quatre groupes pussent suivre la même partition (n'oublions pas que les cantiques avaient la même taille que les livres décrits précédemment). Les notes de musique étaient carrées, et disposées sur des portées de quatre lignes (il s'agissait de chants grégoriens), la cinquième ligne servant uniquement de séparation, avec les paroles indiquées au-dessous.
Ce qui m'a beaucoup plu également,
c'est le coffre incrusté de plaques d'ivoire sculptées ayant
pour thème la vie de San Millan. Les
bijoux qui l'ornaient ont presque tous été volés par
les soldats de Napoléon, et plus de la moitié des plaques
d'ivoire qui se cassèrent par la suite et se détachèrent
ne furent pas perdues pour tout le monde puisqu'on en retrouve des exemplaires
aux musées de New York, Saint Pétersbourg ou Londres... Les
motifs, conçus pour instruire la population analphabète, retraçaient
à la manière d'une bande dessinée les instants-clé
de la vie du saint, avec des traits exagérés pour être
bien compris.
Mais
ce dont s'énorgueillissent le plus les Espagnols, c'est le livre
où ont été écrits les premiers commentaires
en langue espagnole, ainsi qu'en langue basque.
On
suppose que le moine copiste était de langue maternelle basque et
parlait également l'espagnol. On parle donc de San Millan de la Cogolla
comme le "berceau de la langue espagnole". Les moines de cette
congrégation s'étaient donnés pour fonction, comme
partout dans cette Europe moyennageuse, de sauvegarder la culture alors
défaillante sous la domination des Wisigoths, après la chute
de l'empire romain d'occident, et passaient leur temps à copier des
livres écrits en langue latine. Ils écrivaient parfois en
marge ce que l'on nomme des gloses, c'est-à-dire des commentaires
ou explications du texte latin. L'originalité des "Glosas Emilianenses"
tient dans les langues utilisées : les annotations sont en latin,
roman et basque. On considère qu'il s'agit là de la plus ancienne
apparition écrite de ce qui n'est déjà plus du latin
et paraît être de l'espagnol.
Nous
terminons notre séjour à Najera, que je visite seule rapidement,
le soir,
pendant
que Jean-Louis s'allonge sur l'herbe des jolies berges ombragées
de la Najerilla pour lire, face à la montagne rouge percée
d'anciennes habitations troglodytes, comme à Arnedo. Le lendemain,
il pleut, et nous ferons juste une halte sur le chemin du retour à
Estella, très belle ville, très animée de surcroît,
où nous nous promettons de retourner pour la visiter dans des circonstances
moins humides. Les pauvres pèlerins errent dans l'ancien quartier,
j'en vois un torse nu dans une ruelle qui tord sa chemise pour en extraire
l'eau, un groupe s'abrite comme il peut à l'entrée du refuge
qui n'ouvre qu'en fin d'après-midi, d'autres arrivent encore en ordre
dispersé, et empruntent le pont piéton qui mène au
refuge. Les chaleurs des jours précédents devaient être
dures, mais les averses en continu, c'est encore pire, pour le pèlerinage.
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La Rioja alta |
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Séjour
culturel 20-22 Mai 2004 |
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Cathy et Jean-Louis |
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