Si
par quelque cataclysme sélectif frappant notre petit coin de Sud-Ouest,
tous les moyens de transport terrestres, maritimes et aériens étaient
coupés
pendant
une
très longue
durée, supprimant
ainsi toute possibilité d'approvisionnement, et nous réduisant à la
quête de nos simples ressources locales... je ne crois pas que nous
serions
tous lotis à la même enseigne : certains sauraient revenir à
cette époque révolue de la chasse et de la cueillette, alors que d'autres
s'en
déclareraient incapables, quitte à mourir de faim.
J'en
veux pour preuve la capacité étonnante de Rose à trouver des champignons
comestibles (et même tout à fait
délicieux). Nous avions rendez-vous chez elle à 8 heures, samedi.
Le temps était maussade et les k-ways n'étaient pas loin dans le coffre
de la voiture. Nous n'avons trouvé que Pierre : elle était partie avant
l'aube dans les bois environnants, lampe de poche à la main, pour traquer
les cèpes avant l'arrivée de la concurrence ! Le pire, c'est qu'elle
en a récolté malgré l'obscurité, la boue et les feuilles mortes.
Nous
l'avons attendue un bon moment, jusqu'à ce que Pierre, impatienté et
ennuyé de nous voir attendre pour rien, klaxonne un bon coup : du fond
du bois, elle nous a crié de la rejoindre, ce que nous avons fait.
Max a disparu dans les profondeurs, aussi mordu que Rose, tandis que
nous vaquions sans grand résultat au milieu des buissons du sous-bois.
Déjà, un éboueur écumait la lisière près de la route et un promeneur
d'un certain âge émergeait
de la futaie
dans le pré de Pierre et Rose. La chasse était ouverte !
Bien
que le jour ait fini par se lever, il faisait très sombre dans le sous-bois,
les ronces et le faux houx à
petites feuilles pointues agrippaient les vêtements, des sentiers sillonnaient
en tous sens, signe d'une intense fréquentation, et les champignons
au chapeau clair et bien visible étaient bien sûr ceux qui n'étaient
pas comestibles (avec ou sans lamelles). Les autres, invisibles, se
cachaient sous les feuilles et celaient sous une peau noire et mate
à l'aspect
d'un
galet
recouvert
de lichen humide une chair spongieuse blanche et ferme juchée sur un
énorme pied terreux. Enfin, moi, je ne les ai vus qu'une fois cueillis
par
Rose, parce qu'ils semblaient ne pousser que sous ses pas...
Elle
a soudain décidé qu'elle avait épuisé toutes les ressources, et nous
nous sommes de nouveau réunis
à l'abri du garage tandis que nous attendions cette fois Max, parti
très loin à la cueillette. De Bassussarry, nous avons émigré à Ustaritz,
butinant d'un coin à un autre, au gré de la faculté de Rose à en trouver.
Elle
rejetait les cèpes à chair jaune et chapeau marron clair, dédaigneuse,
ainsi que ceux au pied rougeâtre, et ceux dont le pied était trop
mince, ou dont la chair une fois coupée bleuissait, mais elle acceptait
par contre les oronges, champignons à la forme d'un oeuf
au blanc éclatant
qui
laissait paraître, lorsqu'elles s'ouvraient, un coeur orange vif et
dont la consistance
ferme,
même après la cuisson, permettait de les distinguer nettement de celle
des cèpes.
Au
bout d'un long moment d'errance matinale, ceux qui ne trouvent rien
s'ennuient, évidemment, ce n'est
pas comme faire l'ascension d'une montagne, où le but est évident et
le paysage toujours changeant. Là, nous arpentions des bois de feuillus,
même pas forcément de chênes, d'ailleurs, contrairement à ce que j'aurais
cru, et nous marchions le regard rivé au sol à nous en donner le tournis,
guettant la feuille morte pour savoir si c'était du lard ou du cochon...
C'est pour ça que j'ai fini par prendre l'appareil photo, captant la
beauté plutôt que l'utile, et me disant que les autres feraient bien
mieux ce que je faisais si mal. Cela s'est terminé le soir par un repas
pantagruélique, où cèpes et oronges, coupés en morceaux poêlés dans
l'huile, puis revenus à l'ail et au persil, bien assaisonnés de sel
et de poivre,
formèrent
le plat de résistance. Et ce n'est pas la peine de demander si l'un
des convives fut malade : nous avions une connaisseuse parmi nous,
aucun risque !
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Un temps idéal pour les limaces et les champignons ! |
Les cèpes du Rond-Point de la Tour de Lannes |