Nous avons trouvé un hébergement en chambre d'hôte à Joch (prononcer "jok"), avec vue sur le village perché et le Canigou. La maison est située dans la plaine qui n'est qu'un immense verger traversé par la Têt, interrompue dans son cours par un barrage qui a engendré un grand lac de retenue. L'obsession de tous les paysans doit être l'eau, cela transparaît dans les propos de notre logeuse qui se réjouit des pluies des dernières semaines. Les pompes n'arrivaient même plus à fonctionner tant le niveau des retenues avait baissé ! La région semble le paradis terrestre, avec des fruits innombrables qui font pendre les branches vers le sol, mais tous les arbres (même les ceps de vigne !) sont reliés les uns aux autres par le cordon ombilical noir de l'arrosage au goutte à goutte : si l'eau vient à manquer, c'est la ruine assurée. Les cerises ont été endommagées par les pluies, mais ces dernières ont été bénéfiques pour les pêches, brugnons et autres abricots.
Le lendemain matin, nous sommes toujours en phase de récupération (surtout Jean-Louis) et nous retournons sur un site où il s'était rendu très jeune avec ses parents : l'abbaye de St Martin du Canigou. Nous commençons cette fois par la marche, qui se prolonge tant que nous réussissons à grand peine à revenir à temps pour la visite de 15h ! Par cette belle et chaude journée, c'est un véritable plaisir de cheminer en sous-bois dans la montagne environnante et de découvrir au bout d'un long moment la vue plongeante vers le monastère qui demeure encore en activité. La jeune guide, étudiante en BTS Tourisme, n'a pas l'érudition de celle de Fontfroide mais elle est sympathique et nous explique gentiment la signification de quelques chapiteaux sculptés. Tout est symbole, et si les personnages sont souvent caricaturaux ou fantastiques, ils n'en sont pas moins porteurs de message. Nous voyons de manière redondante un visage encadré de deux bras dont les mains convergent sur la bouche, en rappel de la règle du silence prônée parmi les moines qui ne peuvent s'exprimer que dans la salle capitulaire, où ils confessent leurs péchés, ou bien à la messe pour les répons et les chants. Un personnage au visage simiesque recouvert d'une capuche figure un moine, la main tendue vers un bélier (le péché), tandis que le serpent (le mal) qui se tient entre les deux tire sur son bras pour l'inciter à céder à ses impulsions. Un bas-relief sur une plaque murale qui se trouvait sur un tombeau représente l'enterrement d'un noble et l'on note la présence d'un enfant, offert au monastère et qui n'en sortira plus, il sera élevé pour devenir un moine et chargé comme les autres de prononcer des prières pour le salut du défunt. Notre jeune guide souligne aussi que la colonnade ouverte vers la montagne était autrefois occultée par un mur : les moines ne devaient avoir pour seul spectacle que le ciel...
Le lendemain, lever à 6h30, nous sommes résolus à faire l'ascension du Canigou. Notre hôtesse nous a indiqué le village d'où part la piste qui mène au refuge, base d'excursion pour le sommet. Evidemment, aussitôt que nous voyons le panneau "Chemin du Canigou" (à l'entrée de Prades), nous nous y engouffrons, sans tenir compte du fait qu'il ne passe absolument pas par Casteil, mais par La Sacristie et Villerach. Dès la sortie du village, le goudron disparaît, nous roulons sur une piste parfois ravinée par les pluies, mais praticable. Au bout d'une demi-heure d'ascension (que nous avons déjà trouvée très longue), un parking se présente à nous, au carrefour de deux pistes forestières, où des Espagnols extirpent de leur voiture du matériel de canyoning. Le refuge des Cortalets est invisible, il semble bien qu'il faille continuer, mais Jean-Louis serait d'avis de faire demi-tour pour prendre le "bon" départ depuis Casteil.
Je préfère poursuivre, bien que la piste n'en finisse pas et se dégrade de plus en plus, serpentant à flanc de montagne, d'un pic à l'autre, en s'élevant lentement au milieu d'un paysage forestier magnifique. A mi-chemin, il nous faudra même attendre que les bûcherons aient dégagé la route des arbres qui dévalent la pente en arrachant le sous-bois après avoir été sciés et ébranchés : un tracteur enchaîne un gros tronc et le tire en labourant la piste, sans prêter attention au virage où l'arbre bascule dans le ravin sans ébranler l'engin, tant son moteur est puissant. Une voiture attend derrière nous, la première que nous voyons depuis que nous sommes sur cette piste forestière. Nous lions connaissance avec le couple de jeunes qui nous apprennent qu'en fait, sans le savoir, nous avons bien "choisi" le bon chemin. Par l'autre côté, seuls les 4x4 peuvent y circuler ! Donc, ce n'est même pas la peine d'envisager de faire un circuit et de redescendre par là-bas. La route dégagée, nous passons lentement, un oeil inquiet tourné vers l'amont où grincent toujours les scies des ébrancheurs, de peur qu'un arbre ne dégringole par mégarde. Ouf ! L'obstacle est franchi. La piste se poursuit encore pendant une petite éternité. Au bout d'une heure peut-être, un panneau attire notre regard - les jeunes nous ont dépassés depuis longtemps, insensibles aux cahots et aux chocs violents contre la carrosserie, quand les bourrelets de la piste sont trop accentués - : le GR10 est indiqué, et ce sentier conseillé en été.
Là aussi, nous ignorons où nous nous engageons (notre carte est à trop grande échelle, et nous savons mal l'interpréter). Nous imaginons le refuge à un quart d'heure de l'endroit où nous avons parqué la voiture. En fait, il nous faudra une heure et demie, avec, derrière nous, la mer et les grands étangs côtiers dans une brume légère à l'arrière-plan, Vinça et son barrage sur la Têt plus proches de nous dans la vallée, et partout autour, une montagne rose foncé, couverte de rhododendrons en fleurs : une merveille ! En gagnant de l'altitude, les genêts qui avaient formé leurs gousses encore immatures en aval sont en fleurs, buissons jaunes odorants clairsemés dans un paysage rose, qui parfument la montagne. Une très vieille femme nous accueille devant le refuge. Elle a visiblement arpenté le coin toute sa vie et connaît les sentiers comme sa poche. Elle nous apprend que nous nous sommes garés au Ras del Prat Cabrera, et que nous devrons longer un lac pour atteindre le sommet du Canigou (2784 m) qui domine le glacier dont il ne reste pas grand' chose, soit quelque 600 m de dénivelé à faire en 1h40 à 2h30 suivant nos aptitudes et notre condition physique. Après, si nous le souhaitons, nous pourrons gagner le chemin des crêtes, pour faire un circuit, à condition de franchir une "cheminée" et de ne pas nous tromper (elle insiste : après la cheminée, ne pas continuer tout droit, il faudra remonter sur la gauche).
Le Canigou, ce n'est pas la Rhune : en l'absence de petit train à crémaillère ou de route digne de ce nom, peu osent s'aventurer sur la piste, et les touristes louent des 4x4 dont les chauffeurs bedonnants, probablement des retraités qui arrondissent leur fin de mois, patientent toute la journée en discutant joyeusement. Nous rencontrons donc des familles d'Allemands, d'Anglais ou de Hollandais qui entraînent leurs très jeunes enfants seulement équipés de chaussures de tennis ou de sandales sur la sente rocailleuse, des bandes de jeunes adultes, des couples plus âgés, parfois peu aguerris, et qui peinent en traînant leur corps en surpoids, le souffle court et le visage rougi par l'effort. Le paysage se minéralise, une petite frange nuageuse apparaît à l'ouest derrière les montagnes, peu mobile, et qui commencera à se former dans l'après-midi sans présenter le moindre risque d'orage. Je regrette le monde que nous trouvons au sommet, une dizaine de personnes bruyantes qui veulent, comme nous, y pique-niquer, pendant que les choucas virevoltent avec maîtrise sans donner un seul battement d'aile et patientent en attendant notre départ pour venir grappiller les reliefs des repas. Des randonneurs arrivent par la cheminée, d'autres repartent par là : Jean-Louis et moi ne sommes pas inspirés, d'autant qu'un motard, qui s'est garé au même endroit que nous et a emprunté le même sentier, fait des commentaires qui nous découragent de tenter l'aventure. Nous reprendrons donc le chemin inverse.
Photos : Chapiteaux de St Martin du Canigou
Cathy et Jean-Louis | Un pays de cocagne La vallée du Conflent en Catalogne du Nord |
Du dimanche 13 au jeudi 17 juillet 2008
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