La Grande-Bretagne s'est aperçue qu'environ 70 % de la totalité des espèces de Papillons avait disparu en vingt ans au niveau régional ou national. A l'heure actuelle, les populations de Papillons subissent un déclin important dans toute l'Europe, reflétant le déclin général de la biodiversité. Les raisons principales sont les pertes d'habitats et leur fragmentation, l'utilisation massive de pesticides et les changements climatiques. Par exemple, une étude menée dans 45 pays européens sur 576 espèces de papillons de jour a montré qu'au cours des 25 dernières années, l'aire de répartition des espèces s'est en moyenne réduite de 11% à l'échelle de l'Europe, et de manière plus importante dans certains milieux particulièrement touchés comme par exemple les prairies, où elle a chuté de 19%. - Photo : Coléoptère Rhagium Sicophanta (?). -
Les Zygènes sont de petits Papillons de nuit qui volent le jour. Celles inféodées à des plantes appétibles (comme le sont les Coronilles, les Sainfoins et les Vesces) sont de parfaites bioindicatrices des pâtures et des parcours, leur disparition étant le signe d'un excès pastoral aux effets irréversibles, soit par la densité des troupeaux, soit par l’absence de périodes de repos des lieux de pâture. C'est ce qu'on constate au Maroc avec une forte acuité dans la région du Moyen Atlas. Cette tendance néfaste s'est déjà manifestée durant les deux dernières décennies du siècle passé, mais les ravages n’ont jamais été aussi saillants que depuis 2003 et 2004, date d’abandon du plus grand nombre de périmètres en défens, lesquels faisaient office de réserves intégrales du Vivant. - Photo : Chenille d'Orgyia Recens sur un saule (souvent parasitée : c'est un hyménoptère qui sort de la chrysalide, comme l'exemple de la chenille du chou plus haut) : c'est la première fois que Pierre-Camille Leblanc en voit au Pays basque. -
Pierre-Camille Leblanc nous a donné rendez-vous à Saint Jean le Vieux. Nous le suivons sur la D18 qui fait face au parking du fronton et faisons une petite halte au col d'Haltza. Il nous montre le lieu où nous observerons les papillons de nuit le soir, au fond du vallon d'Irau irrigué par le ruisseau - Erreka en basque - Harrigorrizolako. Nous reprenons la route en laissant à notre gauche l'oratoire St Sauveur, dépassons le col de Burdincuruntcheta et descendons à un petit lac de retenue flanqué d'un restaurant et d'une table d'orientation. A l'autre extrémité se dresse un gîte récemment rénové. L'Iratiko Erreka (ruisseau Iraty) s'échappe du barrage et nous le longeons jusqu'au pont d'Orgaté (à partir de là, la route se transforme en piste envahie par les herbes et finit en cul de sac, barré par des barbelés doublés d'un épais taillis de ronces à la frontière).
C'est un ruisseau réputé pour ses truites, et une échelle à poissons a même été installée afin qu'elles puissent remonter la cascade située au niveau du Chalet Pedro. Il s'écoule sur 5 ou 6 km jusqu'à la frontière après laquelle son cours est de nouveau retenu plus loin en un lac isolé au milieu d'un magnifique cadre forestier. C'est l'une des rares rivières qui n'obéit pas à l'une des règles définies lors du Traité des Pyrénées, signé le 7 novembre 1659 sur l'île des Faisans, au milieu de la Bidassoa près d'Hendaye, au nom des rois Louis XIV de France et Philippe IV d'Espagne, par leurs Premiers ministres respectifs, le cardinal Mazarin et don Luis de Haro. Pour définir l'emplacement de la frontière franco-espagnole, il était prescrit que le bassin d'un cours d'eau devait être rattaché au pays dans lequel il se jette.
Voici quelques éléments de l'histoire du massif d'Iraty qui peuvent expliquer l'élection de ce lieu par Pierre-Camille Leblanc (sur le moment, personne n'a pensé à le lui demander). Le massif a été occupé très tôt : de nombreux vestiges proto-historiques le jalonnent, dont les plus célèbres sont les cromlechs d'Okabé. Ils sont la preuve de l'existence pluri-millénaire des pâturages qui se développent toujours sur les crêtes au-dessus de la forêt et accueillent de mai à octobre de nombreux troupeaux. Des chevaux et des vaches y broutent, mais on y trouve en majorité des brebis qui constituent, avec plus de 15 000 têtes, le cheptel le plus important. Sur ses 17 300 hectares, seuls 2 310 ha sont situés en France, la majorité se trouvant donc sur le versant espagnol. - Photo : La même fleur supporte un coléoptère dessous... -
Pourtant bien protégés par un accès difficile, les sapins n'ont pas résisté aux forges et verreries installées dans les vallées et dès le XVIIe siècle à la construction navale. Ils ont été peu à peu détrônés par le hêtre qui trouve dans cette région des conditions idéales de croissance et représente aujourd'hui 90 % des peuplements, formant ainsi la plus grande hêtraie d'Europe. Il constitue l'essence caractéristique des forêts des montagnes basques au-dessus de 700 mètres d'altitude, bien que le sapin demeure présent dans une faible proportion : Iraty est ainsi la limite occidentale de l'aire naturelle du sapin des Pyrénées. C'est au XIXe siècle que cette forêt devient un des centres d'approvisionnement des forges de Larrau et de Mendive : l'ère des grandes coupes commence. L'exploitation se fait de 1847 à 1866. Puis les coupes de bois restent invendues faute de routes pour les sortir de la forêt. Le projet de création d'une route d'accès en 1866 conduit à la vente, en 1898, d'une coupe extraordinaire de 89 000 m3. - Photo : ... et dessus. -
Il faut attendre 1927 et le onzième propriétaire de la coupe pour que commence l'exploitation par câble. Ce dernier installe une scierie à Mendive, reliée au plateau d'Iraty par un tri-câble de 13 kilomètres de long. Les coupes sont suspendues en 1953. La route d'accès, projetée en 1866 et enfin réalisée en 1964, permettra le développement durable de l'exploitation de la forêt d'Iraty, qui se maintient aujourd'hui en apportant des revenus non négligeables au syndicat de la vallée. Cette sylviculture dynamique permet d'obtenir des arbres très droits, aux houppiers bien développés et équilibrés, et dont le bois présente les meilleures qualités technologiques (diminution importante des grumes à "cœur rouge"). Aujourd'hui, le bois d'œuvre d'Iraty est très recherché, notamment par les acheteurs espagnols.
Nous constatons en nous y rendant que la circulation est infime, l'habitat constitué de quelques bordes (fermes) clairsemées. Par rapport à la région côtière surpeuplée et aux plaines intérieures très cultivées, nous nous trouvons sur un site relativement préservé. Le pont d'Orgaté se trouve encaissé entre un flanc nord couvert de forêt et une lande de genêt et bruyère sur le versant sud. L'observation des papillons se fait à pas lents, en longeant les bas-côtés de la route déserte, et nous effectuons de nombreuses haltes pour observer les espèces que nous croisons, chopées au vol, pour les plus intéressantes, au moyen d'un filet. Notre spécialiste est insomniaque depuis de nombreuses années. Il a mis à profit ce handicap pour se livrer à sa passion de nuit comme de jour. Se déplaçant dans sa voiture qui comporte tout l'équipement nécessaire pour dormir, il peut ainsi se reposer à tout moment lorsqu'il ressent un coup de fatigue. - Photo : Pierre-Camille Leblanc montre un papillon capturé dans son filet. -
Il nous étonne par sa faculté extraordinaire de donner immédiatement le nom des papillons au premier coup d'oeil. Parfois, il lance d'abord le numéro qui figure sur une nomenclature qu'il porte toujours avec lui. Ce n'est qu'après une petite réflexion que viennent le nom courant et le nom latin de l'insecte. Il a élevé la plupart de ces animaux chez lui, récoltant (je crois) des pontes sur les plantes pour voir se développer les chenilles jusqu'à leur transformation en chrysalide puis en papillon. Il était donc nécessaire qu'il sache préalablement si les plantes sur lesquelles se trouvaient les oeufs étaient bien celles dont se nourriraient les chenilles, puis quelles fleurs seraient éventuellement nécessaires au stade du papillon (en réalité, les papillons peuvent se contenter de bananes, à ce qu'il m'a semblé comprendre). Il passe des heures, voire des journées entières, en solitaire à faire des inventaires pour déterminer les espèces et l'évolution de leur présence en divers lieux. Par exemple, il travaille pour le compte du Conseil général (service relatif aux espaces naturels sensibles) à la Plaine d'Ansot à Bayonne où il effectue le décompte des papillons nocturnes. Le Conservatoire Régional des Espaces Naturels d'Aquitaine (CREN) utilise aussi ses services à la réserve naturelle régionale Errota Handia de Jean-François Terrasse à Arcangues. La technique est toujours identique : il faut avancer à 3 km/h en observant un volume devant soi de 5x5x5m et en notant tous les papillons qu'il contient. - Photo : L'arpenteuse ou chenille géomètre - Elle se déplace comme le géomètre manie sa corde d’arpenteur pour mesurer une distance au sol, d'où son nom. -
Il constate ainsi que tous les endroits en culture intensive n'ont plus que 40% du nombre normal d'espèces. En ville, les papillons arrivent à pondre, mais ils n'ont rien à manger. La circulation automobile est meurtrière pour les papillons de nuit. Le nettoyage des fossés en broyant les végétaux entraîne la disparition des chenilles et des plantes. En outre, les services d'entretien des communes ont tendance à vider des bidons entiers de produits chimiques désherbants le long des routes (y compris à Lescun, en pleine vallée d'Aspe), mortels par ricochet pour les papillons à tous les stades de leur évolution. Dans les Pyrénées atlantiques, François Hainaut, responsable des Espaces Naturels Sensibles au Conseil Général, préconise qu'il n'y ait qu'un seul passage par an pour couper l'herbe le long des routes du département. On est encore loin du compte : les mentalités ne sont pas encore prêtes.
Passant devant un parterre d'orties, il nous relate le comportement de la Vanesse atalante (ou Vulcain). Ce papillon pond un oeuf par ortie. La chenille qui naît mange toute la feuille sur laquelle elle se trouve puis se déplace pour consommer la feuille voisine. Une fois accumulées des réserves suffisantes, elle monte à la tête d'une ortie encore intacte qu'elle brise à demi pour faire sa chrysalide à l'abri en dessous. Ainsi, elle décourage le Paon du jour de pondre sur cette plante déjà occupée. En effet, la chenille du Paon du jour, arrivée au même stade, aurait tissé des fils tout le long de la tige, emprisonnant ainsi la Vanesse atalante. C'est un exemple tout à fait extraordinaire de coévolution : tout se passe comme si la chenille de la Vanesse savait que celle du Paon du Jour lui serait fatale. L'évolution l'a conduite à employer une ruse pour tromper son concurrent.
Il nous rapporte un autre exemple d'évolution qu'il ne considère pas comme une adaptation, au contraire du cas précédent. Le phalène du bouleau se rencontre sous deux formes, un morphe de couleur claire dit typica et l'autre sombre dit carbonaria ou mélanique, ces variations de couleur étant dues à la quantité de mélanine présente dans les ailes du papillon adulte. A partir du XIXe siècle, les entomologistes observent que la forme sombre devient plus fréquente à proximité des villes industrielles d'Angleterre ; observée pour la première fois en 1848 dans la région de Manchester, cette forme sombre est devenue largement majoritaire en 1895 dans cette même région (plus de 98% de la population). Cette observation est alors rapprochée d'un autre phénomène : en raison de la pollution atmosphérique par les résidus de combustion du charbon, les troncs et les branches des arbres devenaient plus sombres (à la fois par les dépôts de fumée et probablement aussi par la disparition des lichens plus clairs qui les recouvraient).
Or ces papillons nocturnes se posent en journée sur les arbres. Un certain nombre d'études de terrain ont alors montré que le taux de survie des individus de type carbonaria était plus élevé que celui des individus de type typica, probablement parce que ces derniers étaient plus visibles aux yeux de leurs prédateurs oiseaux, lorsqu'ils se posaient sur les arbres devenus plus sombres. Or, à partir de la fin des années 1960, ce phénomène s'inverse. La forme typica redevient fréquente. C'est aussi à cette période que des efforts sont mis en place pour améliorer la qualité de l'air en Grande-Bretagne, efforts qui se traduisent notamment par une diminution des dépôts de pollution atmosphérique sur les troncs d'arbres. Ainsi, même si la nature exacte des multiples pressions de sélection auxquelles sont soumis les phalènes de bouleau reste incertaine avec l'influence d'autres facteurs comme le rôle de la mélanine dans la thermorégulation des papillons, les évolutions rapides du mélanisme au sein de la population des phalènes du bouleau (que l'on retrouve de façon similaire et au même moment chez d'autres espèces de papillons) sont considérées comme un exemple particulièrement frappant des mécanismes de sélection naturelle liés à la prédation. - Photo : Sylvaine -
En forêt d'Iraty, les papillons sont adaptés de façon identique aux arbres de la forêt, principalement à la couleur d'écorce du hêtre. Pierre-Camille Leblanc reprend avec une variante l'histoire de la coévolution d'un papillon et d'une passiflore que j'avais entendue contée par Francis Hallé, le célèbre spécialiste des arbres et des canopées tropicales. "Le papillon Heliconius pond sur une Passiflore, dont les chenilles mangent les feuilles. Changement génétique dans la Passiflore, qui devient toxique. Changement génétique dans le Papillon, qui s’adapte à une nourriture toxique, et devient toxique lui-même. Chaque étape est contrôlée par un nouveau changement génétique. Heliconius, devenu toxique, adopte de brillantes couleurs qui avertissent ses prédateurs. Mimétisme Batésien : des papillons non toxiques adoptent les couleurs d’avertissement. Le genre Passiflora diversifie à l’extrême les formes de ses feuilles. Avec un aliment énergétique, le pollen d’Anguria, Heliconius prolonge son existence et devient capable de mémoriser les formes foliaires des Passiflores. La Passiflore met en place des « faux œufs » d’Heliconius sur ses feuilles, ce qui dissuade ce dernier de pondre. On attend maintenant la riposte d’Heliconius. L’accumulation des changements génétiques correspond à l’apparition de plusieurs dizaines d’espèces nouvelles de Passiflores et d’Heliconius." C'est une coévolution très rapide, qui a lieu seulement en quelques dizaines d'années, visible par conséquent pendant une vie humaine.
Une des participantes montre la photo qu'elle vient de faire d'une zygène dont les taches rouges sur fond noir se joignent de façon inhabituelle : c'est une espèce qu'il n'a encore jamais vue. Cette couleur signale sa toxicité aux prédateurs éventuels (oiseaux ou lézards) - pour les chenilles, ce sont les couleurs jaune/noir qui préviennent du danger (comme chez les guêpes - ou dans les travaux publics ! -). En cas d'attaque elle émet un liquide contenant du cyanure et ce qui fait office de sang dans son corps en contient également. Nous la cherchons en vain parmi les hautes fougères pour qu'il puisse l'attraper et l'ajouter à sa collection. En effet, il signale au conseil général des Pyrénées atlantiques l'apparition de nouvelles espèces sur le territoire. Il effectue aussi bénévolement des inventaires pour aider un ami forestier en Aragon, ou bien s'en va dans le nord de la France dans le même but et les mêmes conditions amicales.
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CPIE Pays Basque : Dimitri Marguerat invite Pierre Camille Leblanc, président de l'association de Cambo-les-Bains "Le Paon du Jour" | Papillons |
29 juin 2010 |