Barbares.
Des barbares. C'est l'unique peuple à avoir conservé (bien
malgré lui)
cette appellation désobligeante et méprisante dont les
Romains avaient affublé
tous leurs
voisins. Ils ne faisaient, en cela, que reprendre
l'ancien terme grec "barbaros", qui n'était pas péjoratif
et désignait par cette onomatopée
les étrangers incapables de parler le grec et qui n'émettaient, à ce
qu'il leur semblait, que des balbutiements indistincts. Selon Lounès
Belkacem, le peuple berbère
- qui se désigne lui-même par le terme "amazigh" (prononcer
amazir, qui signifie "homme
libre") - n'a pourtant eu que le tort d'être trop pacifique,
trop accueillant et, s'il
a parfois pris les armes, cela a toujours été pour se
défendre, et
non pour attaquer et envahir d'autres territoires. "Ce sont toujours
les gagnants qui racontent l'histoire, les agresseurs, les colonisateurs"
constate-t-il. - Je me remémore des bribes de l'histoire d'Al
Andalus où interviennent les Berbères. Il semblerait
qu'en l'an 711, la conquête
de la péninsule
ibérique
occupée par les Wisigoths ait été entreprise
d'abord par des troupes berbères,
sous le commandement du général (*) Tarîq
ibn Ziyâd. Elles constituaient l'avant-garde de l'armée
de Musa Ibn
Nosseyr qui gouvernait l'Afrique du Nord fraîchement
arrachée
par les Arabes à l'Empire byzantin. Cette incursion s'inscrivait
donc bien dans la continuité de
la diffusion (**) de l'islam initiée par les Arabes
-. -
Photo : Lounès Belkacem et Claire Noblia. -
(*) L.B. "Non, Ibn Ziyad n’était pas Arabe mais Berbère de confession musulmane, tout comme ses soldats. Le problème est que pour les Européens, lorsque l’on est musulman (ou que l’on a un nom à consonnance arabomusulmane), on est de facto Arabe. Et puis les Arabes culpabilisent les Berbères musulmans en leur expliquant que s’ils sont musulmans, ils doivent adopter la langue arabe qui est la « langue sacrée » du Coran. Ceux qui refusent la suprématie de la langue arabe sont traités de traîtres, d’anti-islam et violemment combattus. Les Berbères qui résistent et admettent qu’ils peuvent être musulmans tout en restant Berbères conservent leur identité et la défendent. Les autres se font assimiler."
(**) Les sources historiques de la conquête de la péninsule ibérique sont très minces, contradictoires, et elles ont été rédigées longtemps après les événements (IXe, Xe s...). La relecture de ces textes conjuguée à des études interdisciplinaires ont amené certains auteurs à reconsidérer la matérialité de la conquête arabe et le mode de diffusion de l'islam (Ignacio Olagüe, professeur à l'université de Madrid, dans son livre "Les Arabes n'ont jamais envahi l'Espagne", Flammarion, 1969, et un groupe de jeunes historiens arabes de Beyrouth diffusant leurs idées dans la revue Al Kudda el Jadida qui a paru à Beyrouth jusqu'en 1976).
Le
gouvernement français n'a pas agi différemment
1200 ans plus tard. Lounès Belkacem
le dit calmement, posément, mais on sent son amertume et sa
révolte. Contrairement à l'opinion communément
partagée,
ce n'est pas à partir
de 1960 que les "Arabes" (appellation
française
faussement générique
qui occulte l'importante composante berbère et le fait bondir)
ont "découvert" la France. Lors de la première
guerre mondiale, son grand-père,
qui ne parlait pas français, avait déjà été enrôlé pour
lutter aux côtés des Français. Il en avait été de
même à la guerre suivante pour son père
qui avait dû, pour
survivre, accepter de manger "du cochon" (des sandwiches
au jambon). En effet, rappelle-t-il, le 5 juillet 1830, les Français
ont pris possession d'Alger, alors
sous la domination ottomane, et dès 1834 ils ont
créé
en
Algérie
des
troupes de recrutement indigène, les spahis. -
Photo : Danse berbère impromptue après la conférence.
-
Lounès
Belkacem rapporte avec fierté la difficulté de la France à conquérir
la Kabylie,
cette région montagneuse à l'Est d'Alger où il
est né. Pour frapper les esprits, il lance la phrase-choc :
la France a mis 50 ans pour parcourir 50 kilomètres (qui séparent
Alger de la Kabylie) ! En effet, dès
1830 les tribus kabyles (berbères) se mobilisent fortement et
combattent sur tous les fronts, d'Alger jusqu'à Constantine.
Ce n'est qu'à partir de 1857 (27 ans après la prise d'Alger)
que la Kabylie passera progressivement sous la domination française
malgré des soulèvements périodiques qui culminent
en 1871 (41 ans après) avec la "révolte
des Mokrani". Celle-ci
avait débuté en janvier
1871 sous la forme d'une révolte de spahis qui refusaient d'être
envoyés sur le front de la métropole (alors en guerre
contre la Prusse et ses alliés allemands), estimant leur engagement
valable uniquement pour servir en Algérie. La répression
se soldera par de nombreuses arrestations, des spoliations et des déportations
en Nouvelle-Calédonie (c'est l'origine des "Kabyles du
Pacifique"), en Guyane française et en France continentale.
La colonisation se traduira aussi par une accélération
de l'émigration vers d'autres régions du pays et vers
l'étranger. - Illustration : Lalla Fatma
N'Soumer, d'une famille maraboutique, prend en Kabylie la tête
de la résistance à la conquête française.
En 1914, trois régiments de spahis algériens sont engagés dans la pacification du Maroc quand la guerre éclate. Au cours de la Première Guerre mondiale, pour aider à résoudre la crise des effectifs, la présence des unités d’outre-mer, d'Afrique du Nord et d'Afrique noire sera renforcée au sein de l'armée française, sans révolte cette fois de la part des Kabyles qui gardent en mémoire les événements de 1871. Au total, la France incorporera 600 000 "indigènes" (plus 200 000 travailleurs) sur les 8,5 millions d'hommes mobilisés dans ce conflit.
En plus de sa nationalité algérienne, Lounès Belkacem possède la nationalité française, mais il en veut à la France d'occulter totalement cette contribution des peuples colonisés dans l'enseignement que reçoivent ses propres enfants (à l'égale de tous les écoliers français) à Grenoble où il travaille comme professeur d'économie à l'université. Le 11 novembre, on ne parle pas de son grand-père. On n'a jamais dit non plus à ses enfants qu'il y a des populations en France qui ne parlent pas que français. Par exemple à Grenoble, si l'on évoque les Basques, c'est uniquement pour parler d'ETA. "On n'a pas le droit de mentir ainsi" proteste-t-il de toute sa fibre amazigh.
Lounès
Belkacem est
un homme doublement engagé. Pratiquant sa langue maternelle
(amazigh - berbère) parallèlement
au français qu'il possède parfaitement,
il défend
la cause berbère
au sein d'une ONG (organisation non gouvernementale), le congrès
mondial amazigh, créé en 1995 et qu'il a présidé de
2002 à 2011. Celui-ci
regroupe des associations socioculturelles et de développement
amazighes (berbères), aussi bien de Tamazgha (Afrique du Nord)
que de la diaspora. - Il fait remarquer qu'il demeure encore outremer
des descendants des berbères exilés durant la colonisation
française
-. Son objectif principal est la défense
et la promotion des droits et des intérêts politiques, économiques,
sociaux, culturels et linguistiques du peuple amazigh. En
outre, depuis
2010,
il représente le parti "Régions et peuples solidaires",
allié à "Europe Écologie - Les
Verts" au
conseil régional où il
a pour mission de promouvoir la diversité culturelle en région
Rhône Alpes. - Il précise : "RPS
fédère en France les régions et les peuples qui
n'ont pas que le français
comme langue maternelle" -. Il remarque en
passant qu'il a été invité plusieurs
fois au Pays basque
"Sud", mais que c'est la première fois qu'il est convié au "Nord" (de
la frontière
franco-espagnole). Il apprécie Internet qui
facilite les communications et coûte moins cher que le déplacement
physique des personnes, d'autant qu'il est difficile de venir en France
et en Europe pour un Nord-Africain. Mais cet outil ne remplace pas
le contact personnel, et il pense qu'il est indispensable d'aller à la
rencontre des gens. - Photo : Femme berbère
de la tribu des Aït Atta. -
Il
trouve qu'on ne parle pas
des Berbères
en France (ou très
peu). Pourtant, ils constituent la moitié des Nord-Africains
présents
sur le territoire. Le conférencier affirme que les Berbères
sont le peuple autochtone d'Afrique du Nord, qu'ils étaient
là avant tous les autres et que les études
anthropologiques montrent qu'ils ne sont pas venus d'ailleurs.
- Sur le site en lien, l'historien Bernard Lugan est plus nuancé,
mais confirme bien que les Berbères sont arrivés un
peu avant le néolithique,
il y a 9000 ans, repoussant et/ou intégrant parmi eux
leurs prédécesseurs
vivant en Afrique du Nord -. Leur territoire (Tamazgha)
va de l'Ouest de l'Egypte
aux Iles Canaries (dont les premiers habitants, les Guanches, étaient,
selon Lounès Belkacem,
berbères),
et de la Méditerranée
au fleuve Niger.
Pour
illustrer sur le mode anecdotique une des spécificités
berbères par
rapport aux Arabes, il fait remarquer que chez
les Touaregs, ce sont les hommes qui sont voilés (les
hommes bleus), et non les femmes. Il montre un
village troglodyte (berbère) en Tunisie, et souligne que c'est
la meilleure solution pour une bonne climatisation. Les seuls bâtiments
construits à l'extérieur
appartiennent à l'administration. Il assure que les Berbères
ont tous les attributs d'un peuple : un territoire, une culture, une
langue,
une
histoire
commune, un idéal commun. -
Carte : Tamazgha. - Photo : Maison troglodyte de Matmata : habitation
creusée
en puits afin d'échapper à la chaleur écrasante
de l'été et au froid glacial de l'hiver. -
Le
préhistorien Gabriel
Camps (*) n'est pas aussi radical : « En
fait, il n'y a aujourd'hui ni une langue berbère, dans le sens
où celle-ci
serait le reflet d'une communauté ayant conscience de son unité,
ni un peuple berbère et encore moins une race berbère
[…] et cependant les Berbères existent » (Les Berbères,
mémoire et identité, Paris, 1987)." Les Berbères
ne diffèrent pas du reste de l'humanité. Leur histoire est émaillée
d'épisodes de guerres intestines et de luttes pour le pouvoir. Lounès
Belkacem passe sous silence les dissensions (**)
au sein même du Congrès mondial
amazigh : Rachid Raha, binational maroco-espagnol,
président du CMA en 1999-2002 et vice-président
en 2002-2008, remet en cause la légitimité de la présidence (jusqu'en 2011)
de Lounès
Belkacem, binational algéro-français. -
Illustration : Alphabet (Tifinagh). -
(*) L.B. "Oui, je suis d’accord avec G. Camps lorsqu’il dit qu’il n’y a pas de race Berbère. Mais il se trompe lorsqu’il écrit (en 1987) « il n'y a aujourd'hui ni une langue berbère, dans le sens où celle-ci serait le reflet d'une communauté ayant conscience de son unité, ni un peuple berbère ». La réalité est toute autre : Il y a une véritable langue amazighe, parlée par tous les Amazighs avec des variantes locales et un peuple avec la conscience de son passé, de son unité et de son destin. Si ce n’était pas le cas, on n’aurait pas pu créer le Congrès Mondial Amazigh ni avoir un drapeau qui fait la fierté de tous les Amazighs de Siwa aux Canaries."
(**) L.B. "Il faut se méfier de tout ce qui est publié sur internet ! Et si ne n'ai pas parlé de ce sujet, ce n'est pas par volonté de l'éviter mais parce qu'il n'avait pas de lien avec le thème de la conférence. Pour information, je précise qu'il n’y a pas de limitation des mandats pour le président ou pour n'importe quel poste dans les statuts du CMA, il n’y a jamais eu de congrès du CMA à Tizi-Ouzou et par conséquent il n’y a pas deux CMA. En revanche, il y a une instrumentalisation de certaines personnes (dont Raha) par les pouvoirs algérien et marocain pour déstabiliser le CMA et en particulier son président Belkacem Lounes (2002-2011) car celui-ci a fait du CMA une ONG efficace au niveau international et qui ne fait aucune concession aux Etats."
A
l'heure actuelle, les gouvernants des différents pays d'Afrique
du Nord refusent de reconnaître
que les Berbères sont des autochtones, ce qui impliquerait que
les autres habitants ne le soient pas : les Romains, les Vandales,
les Arabes, les
Espagnols...
avaient
tous un pays d'origine (l'Arabie, à l'Est de l'Egypte, pour
les Arabes). Les Imazighen (pluriel de Amazigh) sont chez eux
et demandent
au minimum le respect : les pays d'Afrique du Nord ne sont ni exclusivement
arabes, ni exclusivement musulmans. Les Imazighen sont prêts à combattre
pour faire entendre et accepter ce message. Leur mode de vie est différent,
leur conception de la vie est différente. Il y a eu des élections
en Tunisie et c'est Ennahda, le parti islamiste, dirigé par
Rached Ghannouchi, qui a obtenu près de la moitié des
sièges le 27 octobre
2011 à Tunis. Lounès Belkacem n'accepte pas un modèle
de société basé sur
une religion. Les règles de fonctionnement de la société doivent
respecter les identités et non les réprimer ou les nier.
Elles ne doivent pas porter atteinte aux libertés. -
Photo : Tunisie, Douiret, gîte dans un vieux village berbère.
-
C'est
dans les années 1970 que l'Académie berbère
(Agraw Imazighen) présente le premier drapeau
berbère. En
1998, les premières assises du Congrès mondial amazigh
l'officialise à Tafira
(Las Palmas de Gran Canaria), dans les Îles Canaries. Il est
composé de trois bandes horizontales de même
largeur (bleu, vert, jaune) et de la lettre Z (aza en tifinagh) en
rouge. Chaque couleur renvoie à un élément du
Tamazgha, territoire où vivent les Berbères (correspondant
au nord de l'Afrique) : le bleu représente la mer
Méditerranée et l'océan
Atlantique ;
le vert représente la nature et les montagnes verdoyantes ;
le jaune représente le sable du désert (Sahara
en arabe, Tiniri en berbère).
La
lettre Z de l'alphabet tifinagh (le aza ou yaz) représente l'homme
libre — amazigh —,
nom que se donnent les Berbères. Il est ici en rouge, couleur
de la vie, mais aussi couleur de la résistance. Lounès Belkacem
voit aussi dans ce signe les maillons brisés d'une chaîne. Le
drapeau berbère
symbolise donc le peuple amazigh, dans sa globalité,
vivant en harmonie avec sa terre, Tamazgha. C'est
un signe universel, ni religieux, ni ethnique, ni racial. -
Illustrations : Drapeau berbère - Tatouages de femme berbère.
-
Lounès
Belkacem refuse les frontières des pays d'Afrique du
Nord qui ont été imposées par les colonisateurs
successifs. Il demande la libre circulation dans cette zone. Il veut
que la diversité soit
reconnue sur Tamazgha, soit toute l'ancienne aire de répartition
des Berbères qui n'occupent
plus que des îlots et des surfaces rétrécies du
territoire : les Berbères ont d'autres valeurs que la religion
pour s'unir. De même, l'aire linguistique se réduit. Pendant
les vagues d'invasion successives, les Berbères ont été repoussés
dans les régions pauvres montagneuses et/ou désertiques.
De ce fait, les problèmes sociaux s'ajoutent à leur marginalisation économique.
Les conditions de vie sont dures, ce qui force les Berbères à s'endurcir.
Ils quittent le territoire et émigrent, soit à Alger
(où vit la moitié des Kabyles), soit en France. Ils
sont appréciés de leurs employeurs car ils travaillent
dur. Il en est de même dans les administrations algériennes
où ils sont très efficaces. Le problème, c'est
qu'ils savent réussir individuellement, mais pas collectivement.
Ils ont du mal à résister à cause de leur sens
de l'hospitalité (chez eux, ils offrent la meilleure chambre,
celle du couple) et de leur sentiment d'infériorité.
L'occupant se trouve tellement bien qu'il reste et chasse les Berbères.
Il évoque la figure emblématique de l'aguellid Massinissa, fils de Gaïa, chef du petit royaume des Massyles, qui, profitant en l'an 203 avant J.C. des guerres puniques entre Romains et Carthaginois, s'allie à l'Empereur romain Scipion l'Africain, pour occuper le royaume des Masaesyles, gouverné par l'aguellid Syphax, allié de Carthage, et faire une entrée foudroyante à Cirta. Il devient ensuite le maître de tous les territoires compris entre la Maurétanie et la province punique (de la Moulouya au Maroc à la Tusca près de Tabarka en Tunisie). Jamais, sauf peut-être au temps du triomphe des Sanhadja Zirides (973-1127), le Maghreb ne fut plus près de réaliser l'ébauche d'une nation berbère. D'après Tite Live, Massinissa proclamait que l'Afrique devait appartenir aux Africains. Cet exemple est révélateur de la mentalité berbère : les chefs de deux communautés berbères rivales s'allient à des puissances colonisatrices opposées pour obtenir la suprématie. En réalité, la victoire finale ne sera pas berbère, mais romaine. - Les Celtes auront un sort similaire, en Gaule, les Romains s'alliant avec certaines tribus pour combattre les autres, et provoquant la défaite de Vercingétorix -. - Illustration : L'aguellid Massinissa. -
Lounès
Belkacem nous montre
l'écriture
originale Tifinagh, très ancienne, et souligne le courage
du maire d'Isser, son village d'origine, qui
a fait dresser
des panneaux signalétiques
trilingues arabe, amazigh et français. Au Maroc, il est désormais
possible de suivre des cours en langue amazigh, et théoriquement
également en Algérie, mais c'est plus difficile.
Le
conférencier se remémore son voyage en Egypte, au cours duquel
il a constaté que
c'était dans une oasis berbère près de la frontière
lybienne que l'on proposait toutes les variétés de
couscous, et non dans la ville du Caire.
On y trouvait aussi des couscoussiers dont les décorations
peintes
étaient identiques à celles qu'arborent sur leur front
les femmes berbères. Il
lui paraît donc évident que le couscous est un plat
traditionnel amazigh - et
non arabe -. Il en déduit lucidement : "Les Arabes
ne prennent pas que notre pétrole,
mais ils s'approprient aussi notre culture." -
Photos : Anciens écrits tifinaghs, site des gravures rupestres
d'Intédeni
près d'Essouk au Mali. Panneau trilingue du village d'Isser.
-
Il
proteste contre la marginalisation politique des Amazigh. Il évoque
la figure de Mohamed ben Abdelkrim El
Khattabi. Né vers
1882 à Ajdir au Maroc, mort en 1963 au Caire
en Égypte, il était un résistant marocain du Rif,
région
amazighe du nord-est du Maroc. Vainqueur
de l'occupant espagnol, Abdelkrim proclame en 1922 la création
de la République confédérée
des Tribus du Rif, un embryon d'État berbère. Cette république
a un impact crucial sur l'opinion internationale, car c'est la première
république issue d'une guerre de décolonisation au XXe siècle.
En
1924, l'Espagne retire ses troupes dans ses possessions le long de la côte
marocaine. La France entre à son tour dans le conflit
et Abdelkrim finit par se rendre. En 1926, des avions
munis de gaz moutarde bombardent des villages entiers, faisant
des Marocains du Rif les premiers civils gazés massivement dans
l'Histoire, à côté des
Kurdes irakiens gazés
par les Britanniques. Après 20 ans d'exil à l'île de
la Réunion, il a l'autorisation
de prendre le bateau et s'en échappe à Suez pour trouver
refuge en Egypte.
Il y fondera le "Comité de libération
pour le Maghreb arabe" en 1947 pour coordonner à partir
du Caire la décolonisation
du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie. La situation du Rif ne
sera pas meilleure après l'indépendance. En 1958, 30 000
soldats marocains, avec à leur
tête le futur Hassan II, alors chef d'état-major des Forces
armées, répriment un soulèvement au Rif (près
de 3 000 morts). La région se retrouvera de fait exclue de la
vie politique marocaine durant tout le règne de Hassan II. Un
second soulèvement se produit dans la région en 1984. Toujours
dans la ligne de mire du pouvoir marocain, le Rif sera volontairement
appauvri,
selon Lounès Belkacem, l'argent envoyé par la population émigrée
en Europe sera détourné et financera
des investissements sur la façade atlantique. Il ajoute qu'en
2004, des aides internationales envoyées au Rif après le
tremblement de terre d'Al Hoceima n'arriveront pas à destination
: des maisons demeurent encore en ruines. En 2011, le Rif subit une fois
de plus une
importante répression policière lors de manifestations
pour la démocratie. - Photo : Manifestation
amazigh Kateb à Alger le 12 février 2011. -
D'autres
manifestations pacifiques auront lieu à Rabat, dans
le Sud-Est marocain, à Barcelone,
en Kabylie où se réunissent 10 à 20 000 personnes.
Au printemps
2001, il y a un soulèvement en Kabylie contre l'Etat algérien
qui envoie l'armée. Résultat, 127 personnes tuées
et 5000 autres blessées, dont plusieurs dizaines resteront handicapées à vie.
Il débute par une provocation : un
jeune homme est assassiné dans
une gendarmerie. Il y a aussi d'autres événements,
mais c'est la goutte d'eau qui fait déborder le
vase car le terrain est favorable à la révolte. Durant
deux ans, les gendarmes et l'armée seront
indésirables dans cette région autogérée
par une organisation citoyenne. Le 14 juin 2001, le mouvement citoyen
des Aarchs de Kabylie organise une marche historique à Alger
qui rassemble près de deux millions de personnes, venues accompagner
une délégation devant remettre au chef de l'Etat algérien
la plate-forme d'El-Kseur, contenant les revendications politiques,
socioéconomiques et identitaires. Le gouvernement fait
passer le message
"Les Kabyles viennent détruire Alger, défendez-vous".
Des
prisonniers de droit commun sont envoyés pour les attaquer.
Ce jour-là, trois personnes sont tuées
et plusieurs dizaines blessées. Les Kabyles
ne peuvent aller très
loin car la manifestation est vite récupérée.
L'interdiction de manifester qui en résulte leur sera plus
tard reprochée. Ils refusent l'assimilation forcée.
Ils ne comprennent pas pourquoi les devantures de magasins sont en écriture
arabe alors que la langue berbère est parlée quotidiennement.
En réaction, ils subissent de nouvelles violences policières
en 2008. Un jeune homme prône le retour au droit amazigh d'avant
l'islam et se retrouve enfermé en prison. Le conférencier
montre des photos de la répression
en Kabylie avec l'usage de bombes lacrymogènes : on pourrait
croire qu'elles ont été prises à Gaza, commente-t-il.
-
Photo :
A Tripoli, les Berbères
réclament leur place dans la Libye nouvelle (Le Monde, 29 septembre
2011). -
La
situation est identique en Lybie. Trois militants berbères lybiens
se sont rendus à une conférence
au Maroc. En représailles, leurs maisons ont été détruites
et taggées
"Mort aux traîtres". Les Touaregs ont été enrôlés
par l'Etat lybien pour combattre au Tchad, au Mali... Avec les armes
qu'ils ont ainsi appris à manier et qu'ils ont conservées,
les Touaregs du
Mali et du Niger réclament le respect de leurs droits. Ils pensent
que c'est le seul moyen d'être entendu et que l'information soit
diffusée
dans les médias. Dans
leur sol, il y a le gaz, le pétrole, l'uranium : ils demandent
désormais une part de leurs richesses. Ils
sont traités
d'alliés d'Al-Qaida et
sont combattus par les Etats. Lounès Belkacem montre la photo
d'une femme "courage"
qui attaque un policier de façon dérisoire avec son sac
cabas (vide) pour faire les courses. Les Berbères effectuent
des revendications auprès
du monde entier par l'intermédiaire
des associations et des ONG pour lutter contre les Etats qui les oppriment.
Ils nouent des solidarités avec des Kurdes, des Flamands, des
Basques, des Corses... - Photo :
Ibrahim Ag Bahanga, ex-chef rebelle touareg malien, a été accueilli
"pour raisons humanitaires" en Libye, qui prévoit
en échange de son
entremise pour la paix d'aider à développer le nord du
Mali. -
En
1997 ont eu lieu les premières assises du Congrès
Mondial Amazigh aux Canaries qui lui ont donné un pouvoir international.
Une convention d'échanges commerciaux a été conclue
en 2005 entre Tizi-Wezzu en Kabylie et le Nador (Rif, Maroc). Trois
drapeaux étaient suspendus à la table des signataires,
présidents des chambres de commerce et d'artisanat respectives
: l'Algérien, l'Amazigh et le Marocain. La présence du
drapeau amazigh a coûté son poste au directeur algérien. En
2006, l'Unesco-Catalunya et le CMA signent une convention pour la
promotion de la langue et de la culture amazighes en Catalogne et au
niveau international. La même année, une
forte délégation des Nations Unies, avec notamment Erica-Irene
A. Daes (Rapporteur Spécial des Nations Unies pour les droits
des Peuples Autochtones), est venue assister à la conférence
internationale sur la problématique de la terre et des ressources
naturelles en Tamazgha organisée par le Congrès Mondial
Amazigh, en collaboration avec l'association Ighboula de M'rirt. La
conférence abordait plus précisément le thème
du "droit à la
terre, facteur de paix et de développement durable",
et réunissait quelque 400
participants venus des Canaries, de la Libye (Nefussa) et des différentes
régions
du Maroc (Rif, Atlas, Souss, Tamesna, Sais, Zemmour, Demnat, Marrakech…).
Pour
en venir au sujet de sa propre conférence, Lounès Belkacem
conteste l'existence d'un printemps "arabe". En
Lybie, ce sont les Berbères qui ont pris les armes les premiers
contre Khadafi car il n'était que pour les Arabes. Tripoli est à 100
km du territoire berbère. La révolution n'a rien d'exclusivement
arabe. Il en est de même en Tunisie, en Algérie, au Maroc.
Comme les Berbères
sont les plus réprimés et que c'est leur existence qui
est la plus niée, ils sont toujours les opposants des régimes
en place.
Les
Français (et plus généralement l'Europe) n'utilisent que le mot "arabe" pour
parler des habitants du Maghreb, une uniformisation qui est faite sciemment,
car cela les arrange : ils ont des intérêts économiques
au Maghreb et se méfient
des Berbères. En tant que président du Congrès
Mondial Amazigh, dont le siège est à Paris, Lounès
Belkacem a fait appel au président français, Nicolas Sarkozy,
qui a fait la sourde oreille. Il fait le parallèle avec le régionalisme
français. Que ce soit par des
combats armés ou des manifestations pacifiques, leur revendication
est identique, celle d'instaurer un pays où il fait bon vivre,
où l'on
est tranquille. Il refuse la logique de la domination et préfère
promouvoir la cohabitation. - Photo :
Izuran - Pas de Libye sans Tamazight! – Rassemblement de solidarité avec
les Berbères de Libye à Paris. -
Comme
tous les autres peuples dans le monde, les
Berbères
ont eu d'abord comme religion le paganisme, l'animisme. Puis, après
les persécutions,
ils ont eu la religion
juive et lisaient des textes hébraïques
en langue berbère. Le christianisme est
arrivé avec les Romains (Saint Augustin était d'origine
berbère),
puis il est revenu avec les Espagnols et les Français. En dernier
lieu est arrivé l'islam qui, pour les Berbères, était
une religion parmi d'autres. Les Berbères ont effectué le
synchrétisme de leurs pratiques
religieuses avec la religion dominante du moment. Actuellement, il
y a toujours une certaine tolérance pour eux,
soit qu'ils aient une autre religion, soit qu'ils n'en aient pas. Lounès
Belkacem donne l'exemple de sa propre famille où certains membres
font le Ramadan et d'autres pas. C'est une "question personnelle".
Sa mère
pratique au quotidien la laïcité.
En ce qui la concerne, elle pratique le Ramadan et elle a effectué
le pèlerinage
à la Mecque, mais elle n'impose pas sa religion musulmane à ses
proches. Lorsqu'elle dit
à son fils qu'elle ira "automatiquement" au Paradis,
mais qu'il n'en sera pas de même pour lui, il lui rétorque
que faire la prière et aller à la Mecque ne seront
pas les seuls critères ni les plus importants pour gagner le
paradis. Une discussion pareille est parfaitement
impossible avec les nouveaux intégristes. -
Photo :
Famille juive devant la porte de sa maison du mellah d'Illigh, Anti-Atlas,
1953. -
Lounès
Belkacem demande
donc la séparation
de l'église et de l'état,
et que cette mention figure dans les nouvelles constitutions. La culture
berbère est naturellement laïque, alors que les occidentaux
se croient les inventeurs de la laïcité. Les Berbères
sont les seuls à avoir dénoncé
la charia (traduit
très approximativement par l'expression "loi islamique"). La France
a aidé la
Lybie à se
libérer
de la dictature de Khadafi, et maintenant, elle serait prête à laisser
s'instaurer une nouvelle dictature religieuse ? La polygamie pourrait être
inscrite dans la loi ? Les Berbères préfèrent à l'heure
actuelle conserver leurs armes car ils risquent de connaître
une situation pire que sous Khadafi. Voyant qu'il n'obtient aucun recours
de l'Etat français et des autres Etats occidentaux, Lounès
Belkacem nous dit qu'il vaut mieux communiquer directement avec les
gens.
Les peuples doivent se saisir de ces décisions, il ne faut pas
laisser les Etats décider pour eux : "Il faut imposer nos
valeurs, par nous-mêmes,
personnellement." - Photo :
Intervention du CMA à l'ONU. -
La solution serait-elle de préconiser des structures
fédérales pour faire respecter les droits des minorités
? Il pense que oui, que c'est leur seule chance de survie. Ils ont
fait l'expérience
d'Etats centralisés jacobins et n'ont jamais obtenu le droit à la
diversité.
Ils ont toujours été en butte à la répression.
S'il
y avait une avancée,
elle était mise en oeuvre par des gens qui étaient contre,
et donc elle était toujours provisoire. Le problème,
c'est comment déterminer
leur territoire puisqu'ils sont partout chez eux.
Sa fonction au sein du Conseil régional lui permet d'expérimenter
la difficulté
de faire reconnaître les langues autochtones en France et il
constate qu'en France, il est très difficile aussi de faire
admettre la diversité.
De ce point de vue, il trouve que la France est le pays le moins démocratique
d'Europe. En effet, d'autres pays européens fonctionnent différemment,
en fédération, comme
en Suisse
par exemple. Pour résoudre le problème berbère,
il penche pour l'instauration d'un Etat fédéral
car sinon les Berbères seront
toujours en minorité dans le fonctionnement démocratique.
- Photo :
Maroc - Véolia sur la sellette.
-
Faut-il
poser le problème à l'ONU ? C'est
une question de rapports de force. Les Berbères n'ont pas d'Etat
ami pour poser la question au Conseil de Sécurité. Or,
il faut être un Etat pour obtenir l'aide de l'ONU. D'importants
intérêts
économiques sont en jeu : le sous-sol du Sud algérien
est exploité par
des sociétés
multinationales européennes,
et ces zones ont été transformées en zones
militaires, de même que dans d'autres régions du Maghreb
(Véolia, Areva...).
Les gens qui vivaient dans ces zones ont été repoussés
plus loin et continuent de vivre dans le plus grand dénuement.
Parfois ils reçoivent des aides humanitaires de la part des
Etats et/ou des multinationales qui exploitent et pillent les richesses
de leur sous-sol. - Photo :
Alors qu'Areva s'assure la place de leader mondial
de la production d'énergie nucléaire grâce à l'uranium
du Niger, ce pays est actuellement le moins électrisé de
la planète. -
Extrait de l'article "Sonatrach investit à grand pas au Niger" du quotidien "Le Temps d'Algérie" (21 novembre 2011) :
"...Le ministre algérien
a souligné en outre que les pays du
champ du Sahel (Algérie, Niger, Mali et Mauritanie) vont soumettre à leurs
partenaires de l'Union européenne un ensemble de projets de dépeuplement
portant notamment sur les infrastructures routières et ce, lors
de la réunion prévue à Bruxelles le 8 décembre.
M.
Messahel ne manquera pas de souligner en outre que la région
du Sahel est aussi interpellée par des menaces terroristes, mais
aussi par des défis liés à la pauvreté en
général et au rush massif des populations venant de Libye.
Tout
en rappelant la réunion des chefs d'état-major des
armées des pays du Sahel prévue hier dans la capitale malienne,
il conclut que ces dernières semaines ont été marquées
par une activité intense des mécanismes mis en place pour
la lutte antiterroriste ainsi que pour le développement de la région."
- Photo :
Mine d'uranium du Niger exploitée
par Aréva. -
Extrait de l'article "Mines d'uranium au Niger: Un scandale nommé COGEMA" :
... Si les mines d'uranium en Afrique ou ailleurs sont la propriété de COGEMA alors l'uranium produit est français... La main d'oeuvre, presque exclusivement des nomades Touaregs, reste totalement ignorante des effets de l'exploitation minière. La détection des radiations et les contrôles sanitaires sont inexistants (article publié en 1982)... Les mineurs remontent des galeries en fin de journée recouverts de poussière radioactive de la tête aux pieds... L'uranium du Niger est non seulement indispensable au programme électronucléaire massif de la France mais aussi à sa production d'armement...
Extrait de l'article "Sarkozy veut «sécuriser» l'uranium du Niger" (Le Figaro) :
"La
route de l'uranium est ouverte. Le 5 janvier 2009, Areva obtenait du
Niger le droit d'exploiter la mine géante
d'Imouraren, non loin d'Arlit. Un accord négocié durant
des mois qui a rendu possible la courte étape de quatre heures
que Nicolas Sarkozy a effectuée
hier dans ce pays sahélien, l'un des plus pauvres de la planète,
mais aussi le deuxième producteur d'uranium au monde derrière
le Canada. Dans l'entourage du chef de l'État,
on ne cachait pas que cette « visite
découle du contrat » signé de haute lutte avec Niamey
par le numéro un mondial du nucléaire, au nez et à la
barbe de la Chine. À partir de 2012, grâce à un investissement
initial de 1,2 milliard d'euros, Imouraren devrait permettre d'extraire
5 000 tonnes d'uranium pendant 35 ans. Une manne indispensable pour les
centrales nucléaires françaises dont la moitié des
approvisionnements en uranium viendront alors du Niger (contre un tiers
aujourd'hui)... L'extraction de l'uranium s'effectue toutefois dans un contexte
sécuritaire particulièrement tendu. La guérilla touareg,
qui a repris les armes en 2007, réclame une répartition plus
juste des revenus du secteur minier. Elle opère dans la région
de production d'Areva qui a été la cible de plusieurs attaques.
Cible judiciaire également, le groupe français est régulièrement
poursuivi en justice par des associations touareg et des ONG qui l'accusent
d'atteintes à l'environnement et aux conditions de vie des populations
locales. Les Occidentaux redoutent également une jonction entre la
rébellion
touareg et les islamistes d'al-Qaida au Maghreb, très actifs dans
la région. Ces liens ne sont jusqu'à présent pas avérés,
hormis via des trafics...". - Photo : La chute du régime Khadafi
libère la course à l'or noir. -
Malgré ce contexte, les
Berbères
ont du mal à recréer
une conscience collective (les jeunes oui, mais pas les vieux, selon
Lounès Belkacem). La religion musulmane
est un élément de cette domination, mais l'évolution
est rapide et la question amazigh est devenue une donne incontournable.
La langue amazigh est désormais imposée
dans la constitution du Maroc (on en est loin en France, commente-t-il).
Il prévoit que les Berbères seront de plus en plus combattus par les
islamistes, car ils défendent
la laïcité.
Cette revendication berbère de la laïcité et de
la démocratie devrait
intéresser tous les peuples autour de la Méditerranée.
Parmi les Nord-Africains, une infime minorité est véritablement
arabe, la majorité est issue
du métissage avec les Berbères, ils sont bilingues berbère
et arabe. En Lybie, le préambule de la constitution affirme "nous
sommes arabes et musulmans" et occulte la diversité. De
même, en Tunisie, où il y
a eu des élections récemment, pourquoi ne pas dire que
la population est tunisienne, nord-africaine ? Lors des conférences
et débats qui
ont précédé les élections, les partis qui
affirmaient leur accord pour reconnaître les Berbères
n'étaient pas encore au pouvoir et ils n'ont pas été élus.
Les
sociétés civiles au Nord (de la Méditerranée)
doivent surveiller qu'il n'y ait pas un recul des libertés.
Les islamistes ont le projet, écrit, d'instaurer la Charia,
la loi coranique. C'est un vrai problème : les arabisés,
islamisés, sont plus nombreux que
les Arabes musulmans véritables. Les islamistes souhaitent changer
une identité
par une autre. Arabiser, c'est aussi violent que tuer. Avant, l'arabe
se pratiquait dans un rayon de 30 km autour de Rabat. Maintenant, il
est de 50 km. En France aussi il y a un travail d'islamisation et un
prosélitisme plus intense encore qu'en Afrique du Nord. La France
recule car elle a peur. Lounès Belkacem rapporte que lors d'un
mariage à la
mairie d'un village de Rhône-Alpes, une conseillère municipale
(musulmane) représentant
le maire a demandé à la future mariée d'ôter
son voile, ce qui fit scandale. Elle s'est fait vilipender alors
qu'elle ne faisait que faire respecter la loi française. Qui plus
est, ce n'est pas
contraire
à l'islam
d'ôter
le voile. - Carte :
IFOP 2009 : Répartition
des musulmans en France. -
A la fin de sa conférence, une
question est posée
sur le statut de la femme berbère. Lounès Belkacem répond
que les Berbères
ne sont pas parfaits, et qu'en outre, ils n'ont jamais vécu
librement leur culture. Ce qu'il peut dire, c'est qu'avant la colonisation,
ils s'étaient dotées de reines et de commandantes des
armées. Au VIIe siècle, une reine a fait front à l'invasion
arabe. Dans les luttes actuelles, il y a l'égalité hommes-femmes.
Le recul du statut de la femme berbère est dû à l'influence
de l'islam. Dans la loi musulmane, la signature d'un homme équivaut à celle
de quatre femmes. Il a voulu la braver et il a choisi deux femmes pour
signer un document en Algérie. On lui a dit que ce n'était
pas suffisant et qu'il devait revenir avec d'autres personnes.
Une
auditrice lui demande ce qu'il pense du film La source des femmes.
Elle trouve scandaleux qu'il ait été tourné en
langue arabe alors que toute l'action se déroule dans un village
berbère marocain de l'Atlas bien identifié. Tout est
berbère dans le film, y compris les vêtements, danses
et chants traditionnels. Le réalisateur aurait dit à Cannes
(?) qu'il défendait la culture arabe. Lounès Belkacem
se demande si cela vaut le coup de déposer une plainte à ce
sujet. En effet, les Berbères représentent 50% de la
population du Maroc, 10% en Tunisie, 1/3 en Algérie et 20% en
Lybie. Au Mali et au Niger, il dit que les populations Berbères
Touaregs occupent les territoires du nord et nord (Air,
Azawad).
- Photo : Les kasbahs berbères contrôlaient
les oasis et leurs voies d'accès. -
Pour conclure provisoirement sur ce sujet, je dois
dire que la découverte de cette souffrance des Berbères luttant contre
l'acculturation orchestrée par les colonisateurs successifs de l'Afrique
du Nord m'a beaucoup touchée.
Cela semble incroyable qu'au bout de tout
ce temps leur identité demeure et qu'ils gardent la force de vouloir
la défendre et la conserver, alors qu'il s'est certainement produit
maints métissages, autant physiques que culturels, tout particulièrement
avec les Arabes présents sur leur territoire depuis le VIIe ou le VIIIe
siècle, et ensuite avec les Français - et un peu les Espagnols - depuis
près de deux siècles. C'est sans doute un sentiment du même genre
qui pousse
les
cultures françaises
dites
"régionales"
à
se maintenir
bien
plus
que
sous l'aspect "folklorique" où l'Etat français voudrait les cantonner,
et je donne raison à Lounès Belkacem de faire le parallèle
avec les Corses, les Basques ou les Bretons.
En
tant que Française et Européenne, je me sens cependant en porte-à-faux,
face à son appel au secours, car
c'est
mon
mode de vie
même
qui influe
directement sur l'oppression que subissent les Berbères. Lounès Belkacem
doit aussi se sentir divisé, puisqu'il est à la fois berbère, algérien
et français. Les Berbères ont été repoussés dans les régions les plus
déshéritées et hostiles. Elles sont devenues pourtant l'objet des convoitises
exacerbées des "grandes" puissances en raison des ressources naturelles
qui ont été découvertes dans le sous-sol. La présence de ces peuplades
rebelles est devenue gênante, et leur intégration (donc leur acculturation)
d'autant plus urgente, afin qu'elles vident les lieux pour laisser
le champ libre à l'exploitation industrielle financée par les multinationales.
- Illustration : Mosquée Ketchaoua, reconstruite
en 1794 sous le gouvernement
de Hassan Pacha. Ici après sa conversion en cathédrale par la France.
1899. -
Le
seul fait d'utiliser l'électricité produite par les centrales nucléaires
ou les
centrales
thermiques
fonctionnant au pétrole, de consommer du gaz pour me chauffer ou
cuire mes aliments,
de me déplacer dans une voiture fonctionnant à l'essence, d'acheter
des produits de consommation transportés en camion, bateau ou avion
jusqu'aux commerces locaux, d'utiliser des plastiques ou autres
dérivés du pétrole, d'emprunter des routes bitumées, et j'en passe,
me rend indissociablement solidaire du sort alloué aux possesseurs
de
ces ressources
naturelles
que
j'utilise.
Et
je ne parle pas de tous les autres produits dont nous profitons
également, le phosphate marocain, les fruits et légumes, et enfin,
depuis quelques dizaines d'années, le soleil, les paysages et le
cadre de
vie qu'apprécient les (trop) nombreux touristes et de nouveaux
immigrants qui enchérissent par leurs investissements le coût de l'immobilier
dans le centre des villes marocaines ou tunisiennes. De ce fait,
je souscris totalement à son désir de vouloir contacter les
gens
directement, bien que je sois plus réservée sur le succès de son
entreprise. - Photos : Montagnes enneigées
de Kabylie. - L'Algérie détient les plus grandes réserves
mondiales de corail rouge, dont la pêche est réglementée.
-
Les échanges internationaux ne sont pas mauvais en eux-mêmes. Le problème, c'est que le prix de ces transactions est déterminé par des rapports de force, ce sont les plus puissants qui imposent leurs conditions aux pays du Maghreb (et plus généralement en Afrique et dans le Tiers Monde) et ce ne sont pas les entrées en lisse de la Chine et de l'Inde qui changeront quelque chose à la donne. Alors, que faut-il faire ? Devons-nous baisser les bras devant ce destin jugé inéluctable ?
Conférence de Lounès Belkacem, invité à l'auditorium de la médiathèque de Biarritz par l'association "Bakea Bai - Pour la paix en Pays basque" présidée par Claire Noblia. | Regards berbères sur les printemps dits "arabes" |
Samedi 12 novembre 2011 |