Au
dernier moment, il a fallu changer notre fusil d'épaule. Les prévisions
météo étaient si calamiteuses que nous avons dû renoncer à nos projets
de séjour à Lescun - à notre grand regret, mais ce n'est que partie remise
- et notre groupe a été disloqué avant même d'avoir été constitué : nous
nous sommes retrouvés à deux, Jean-Louis et moi, obligés d'aller chercher
le soleil plus à l'Est, dans la vallée du Conflent en Catalogne du Nord.
Il ne faut pas si longtemps pour y parvenir : avec un départ tranquille à 9h30, nous étions vers les 14h à l'abbaye de Fontfroide, près de Narbonne, sur laquelle nous avions vu un reportage très intéressant à la télévision peu auparavant, qui nous avait donné envie d'y aller voir de plus près. La guide, très compétente, nous la présente rapidement, mais avec un commentaire précis et documenté. Son nom vient du roman "font frigida", la source froide. En effet, l'emplacement des abbayes n'était jamais choisi au hasard. Il fallait qu'elles soient à l'écart des agglomérations, dans une région reculée où trois éléments indispensables devaient être réunis, le bois, la pierre et l'eau, sans compter les terres alentour, nécessairement arables.
Fontfroide
ne fait pas exception, elle est entourée de forêts (sans doute pas celles
des origines, car des incendies sévissent régulièrement dans cette région
sèche soumise au vent d'autan), une carrière a été creusée dans la montagne
pour y extraire le grès, abondant dans les Pyrénées, dont la couleur
varie du jaune pâle au rose foncé suivant ses composants et la part de
fer (rouillé) qu'il contient, et la montagne au pied de laquelle se blottissent
les bâtiments fait office de château d'eau dont il sort à la source située
à sa base une eau toujours fraîche et sans doute suffisamment régulière
et abondante pour abreuver une vaste communauté. Elle est située en outre
sur les chemins de St Jacques de Compostelle et représente une halte
bienfaisante pour les pèlerins.
Nous
nous tenons d'abord dans une vaste cour, à l'ombre, et elle nous fait
remarquer la différence de couleur
et de conservation entre le mur qui nous fait face, en plein soleil,
et celui qui est près de nous : l'un est rose et abîmé, la pierre usée,
trouée par endroit, l'autre est gris, lisse et intact. Il s'agit pourtant
de la même pierre et d'une construction faite à la même époque, seulement,
la partie ombragée en permanence s'est couverte d'un lichen qui lui
donne cette teinte grise et s'est incrusté à la pierre, la protégeant
des intempéries. Cela me fait penser aux restaurations qui ont été entreprises
sur tous les monuments de Bordeaux, où les façades ont été décapées,
en ôtant certainement la crasse accumulée au fil des ans, mais aussi
un revêtement protecteur, et mettant en péril sans doute les pierres
dans cette recherche effrénée de propreté et d'esthétique. Il me semble
d'ailleurs avoir lu quelque part que les spécialistes de la restauration
doivent injecter des produits pour renforcer cette pierre fragilisée.
Elle nous fait un petit cours sur les
ordres monastiques. A Fontfroide, il s'agissait de moines
cisterciens. Leur
nom viendrait de l'ancien français "cistel" (jonc, roseau) qui avait
donné Cistercium, nom de la terre marécageuse qui avait été attribuée
au fondateur, Robert
de Molesmes, à cinq lieues
de Dijon, dans le diocèse
de Chalon (Châlons-sur-Saône), en Bourgogne. Cela ne les
a pas empêchés d'être de grands assécheurs de marais. Elle nous rappelle
que les ordres monastiques présentaient une grande ambiguïté, dans leur
conception même, qui les obligeait immanquablement à dériver de leurs
idéaux d'origine : pauvreté,
prière et travail manuel.
Les aumônes et les donations abondèrent, et
avec elles la richesse, ce qui entraîna chez les moines
mollesse et tiédeur, causant maintes discussions et scissions :
"
La réussite de Molesme l’obligea à jouer un rôle
dans le monde de la féodalité. Bien des donations étaient
assorties de contraintes : des enfants à éduquer, des pensionnaires à accepter,
des sépultures dans l’enclos
du monastère à assurer. Les bienfaiteurs étaient reçus
et entretenus, et parfois des réunions de nobles se tenaient au monastère.
En outre, de vastes possessions agraires demandaient un grand nombre d’employés
pour accomplir le travail qui dépassait les possibilités des
moines, et divers niveaux de supervision devenaient nécessaires, si
on voulait assurer le bon ordre. Avec la complexité croissante de
l’administration, il fallut une bureaucratie, ainsi que des domestiques
pour assurer les tâches pratiques. Il y avait beaucoup d’ambiguïté dans
une telle situation et, si l’on en croit l’auteur de la Vita,
les vices s’amplifiaient sans contrôle, et les discordes grandissaient." (extrait
du site
de l'abbaye de Cîteaux)
Les cisterciens avaient réagi par rapport
aux dérives des bénédictins (de l'ordre de St Benoît), puis les trappistes
cherchèrent à leur tour à corriger celles des cisterciens : une spirale
sans fin due à un vice de forme. Fontfroide avait fini par s'étendre
sur 30 000 hectares divisés en 24 fermes, nourrissant jusqu'à 80 moines
et 250 "convers". Ces derniers étaient des agriculteurs "convertis",
ayant prononcé les voeux (entre autres de chasteté), mais par essence
inférieurs aux moines, puisqu'ils ne savaient ni lire ni écrire. Un bâtiment
leur était réservé, réfectoire au rez-de-chaussée, dortoir au-dessus,
cellier au fond, avec un accès séparé menant au fond de l'église (les
moines étaient dans le choeur, séparés par une barrière infranchissable).
La plupart de ces convers vivaient très loin de l'abbaye, sur les terres,
et n'avaient obligation de venir qu'une fois l'an assister à la messe.
Notre guide nous fait remarquer les sujets uniquement végétaux des chapiteaux,
et l'anachronisme des vitraux qui étaient à l'origine en noir et blanc
(on parle de grisaille cistercienne), la couleur étant prohibée. Le couloir
qu'empruntaient les convers m'amuse : il semble tronqué. Le mur de gauche
s'appuie en arc de cercle sur le mur vertical de droite. Il s'agit en
fait d'un arc-boutant intérieur, comme il s'en faisait à l'époque romane.
Ce n'est qu'à l'avènement du gothique que ceux-ci seront
placés à l'extérieur des bâtiments qui auront gagné en hauteur, finesse
et légèreté. A la fin de la visite, nous ne manquons
pas de faire l'excursion jusqu'à la croix qui domine la colline, par
un sentier odorant et fleuri de garrigue et d'arbustes méditerranéens.
Cathy et Jean-Louis | Un pays de cocagne La vallée du Conflent en Catalogne du Nord |
Du dimanche 13 au jeudi 17 juillet 2008 |