Cathy et Jean-Louis chez Cédric et Loreto | Le jardin d'Eden |
27 mai au 13 juin 2013 |
Dimanche, les voisins Feli et Araceli sont invités à manger du lapin. C'est nous qui l'achetons la veille, mais Loreto le confie à sa voisine pour qu'elle le fasse macérer dans une sauce appelée "mojo rojo" durant 24 heures. Le lendemain, ils arrivent à pied, les bras chargés de victuailles, tandis que Cédric et Jean-Louis poursuivent la fabrication d'un four destiné à être placé au-dessus de la cheminée, selon un principe de four en terre chilien indiqué sur un site Internet. Ce sont les invités qui préparent le repas, ce n'est pas commun. Feli déplace deux ou trois pierres volcaniques du muret en contrebas de l'entrée de la maison, va chercher une brique de béton pour bien équilibrer le support, récolte dans la réserve extérieure quelques branches qu'il brise à la bonne dimension du foyer. Il met le feu aux bûches, demande une grille, pose au-dessus des flammes vives une poêle généreusement nappée d'huile où il fait sauter les morceaux de lapin macérés. On le sent à son affaire. Nous aidons Araceli à disposer les tables et les chaises, les pommes de terre du jardin attendent dans un grand faitout à côté des pots de sauce. - Photo : Feli et Araceli préparent le lapin au "mojo rojo". -
Cédric a récupéré deux vitres de four, de la tôle, un bidon rouillé identique à celui dont il s'était servi pour faire la cheminée. Il essaie d'abord de mettre en forme le bidon qu'il a préalablement découpé à la bonne dimension, mais celui-ci n'est pas aisément pliable, à cause des anneaux plus épais que les parois qui rigidifient sa structure. Après s'être escrimé un moment dessus, il abandonne l'idée et préfère découper la tôle de zinc, sans prendre garde en prenant les mesures qu'elle est ondulée et s'allongera lorsqu'il l'applatira : c'est çà l'expérience ! Feli ne comprend pas bien. Cela irait tellement plus vite avec une scie électrique à lame circulaire ! Mais Cédric ne veut utiliser que ses propres moyens, il met le temps qu'il faut et travaille à la main. - Photos : Feli ajoute du sel pour les "papas arrugadas" sous l'oeil attentif de Loreto. Jean-Louis et Cédric fabriquent la porte du four. -
Le lapin est bien revenu sur toutes ses faces. Il est temps de le mettre à bouillir dans une grande cocotte emplie de sauce "mojo rojo". Il pose à côté la casserole de pommes de terre blanches et rouges qui baignent dans l'eau. Il y ajoute du sel et la met à chauffer. Il n'y a pas de second couvercle ? Qu'à cela ne tienne ! Il va dans le potager tout proche et choisit deux grandes feuilles de chou qu'il cueille et revient poser sur les patates. En plus, cela donnera bon goût. Je prends sur le calepin de Loreto la recette du "mojo rojo" notée "Mojo canario, Receta Araceli" : 1 cabeza de ajos (tête d'ail), 2 pimientas sin pipas que estan en vinagre (poivrons égrainés conservés dans le vinaigre), sal gorda (gros sel), comino (cumin), pimiento de lata (poivron en conserve), pimenton (poivre), aceite (huile), oregano (origan), tomillo (thym), battre le tout et manger. J'en profite pour noter celle du "mojo verde", excellent en accompagnement de légumes ou de poisson : pimienta verde o pimiento (poivron vert ou piment), perejil o cilantro (persil ou coriandre), ajo (ail), aceite (huile), sal gorda (gros sel), se puede echar un poco de vinagre (on peut y ajouter un peu de vinaigre). - Photo : Cédric et Jean-Louis devant le futur four -
Cédric a marqué sur le mur les repères pour sa démolition. Il en profitera pour améliorer la cheminée dont la terre s'effrite et passe à travers le grillage sur le devant. Il prépare le pisé. Jonathan, Alexis et Marie doivent lui manquer, car Jean-Louis et moi ne sommes pas d'une grande aide ! Il va chercher de l'argile près du poulailler, la place sur une grande toile, la mouille abondamment en la retournant sans cesse à la pelle bêche. Ce n'est pas évident car, sur le dessus, elle a l'air complètement trempé, et au-dessous, elle demeure totalement sèche. C'est une opération de longue haleine qui se poursuit avec l'insertion de paille en piétinant le mélange. Loreto enfile ses jolies bottes de caoutchouc violettes assorties à son pull et vient l'aider en chantant. Grâce à son charme et à sa bonne humeur, cela semble devenir un jeu ! - Photos : Réalisation du pisé. -
Il vérifie avec Loreto l'emplacement du futur four et commence à percer le mur, sans endommager le conduit de cheminée puisque celui-ci est extérieur. La halte du repas est bienvenue. Le fils cadet des voisins, attiré par ces odeurs alléchantes, arrive sur ces entrefaites avec sa copine pour partager le festin. Tout le monde se régale et Feli, émoustillé par le bon vin et la bonne chère, raconte sa jeunesse sur l'île et se remémore des plaisanteries contées dans un espagnol fortement empreint de l'accent canarien qui nous en rend parfois la compréhension difficile. Ensuite, le travail reprend au-dessus de la cheminée : c'est le moment de placer la tôle de zinc et la terre, avec l'aide de Feli qui n'y va pas de main morte. Le lendemain, Cédric devra en enlever une bonne partie pour rectifier la forme du four et ménager un bon volume intérieur. - Photo ci-dessous : Dégustation du lapin au "mojo rojo". -
En fin d'après-midi, Feli pousse la chansonnette, accompagné à la guitare par Cédric. Araceli couve des yeux son mari. Pour accompagner le café servi bien tardivement, elle nous offre de nouveau un de ses délicieux gâteaux dont elle a le secret. A la tombée du jour, alors que les nuages stagnent jusqu'au sol, plongeant Aguamansa dans une pénombre froide et humide, les chèvres sont sorties de leur enclos en prenant garde à ce qu'elles ne foncent pas dans le champ de pommes de terre et maïs. L'une d'elle adore jouer avec la grande chienne Lua et toutes deux se défient. On voit bien que Lua a déjà éprouvé la dureté des cornes pointues et qu'elle s'en méfie. La chèvre s'en prend ensuite à l'une de ses consoeurs, elles font mine de se foncer dessus, puis elles sautent vivement, s'évitent et se cabrent. En voyant la prestesse de leurs mouvements, il est difficile d'imaginer qu'elles soient enceintes toutes trois. Pourtant, un mâle qui faisait deux fois leur taille a séjourné un mois durant avec les jeunes femelles. Normalement, la nature devrait avoir fait son oeuvre. - Photos : Feli chante, accompagné de Cédric à la guitare - La chienne Lua et les chèvres -
Lors d'une session de didgeridoo en ville, Cédric a fait la connaissance de Brigitte dont l'un des enfants pratique aussi cet instrument, fabrique des flûtes et compose de la musique. Répondant à son invitation, nous lui rendons visite dans sa propriété de La Esperanza. Située à 600 mètres d'altitude, elle subit moins les rigueurs de l'hiver qu'Aguamansa, mais elle bénéficie d'un climat plus doux que sur la côte, avec des saisons marquées, ce qu'elle apprécie. De son propre aveu, les plantes potagères ne l'intéressent guère, et elle ne sème dans son carré qu'à l'annonce de l'arrivée de sa fille, pour lui faire plaisir. Par contre, elle adore les arbres fruitiers dont elle possède une multitude d'espèces qui poussent sur un grand terrain étagé sur trois niveaux. Sa plus grande production provient des pommiers. Elle se dit prête à acheter des produits de la ferme de Cédric dès qu'il commencera à avoir du surplus. Elle n'est pas la première à lui faire cette proposition. Il a déjà toute un éventail de clients potentiels, sans compter ceux qu'il aura au marché de l'agriculteur où il a déjà réservé sa place.
Dans l'alignement d'un des murets, elle a discrètement encastré une chambre d'hôte dont le toit est recouvert par la terre de la terrasse supérieure. Ombragée de surcroît par un grand châtaignier, cette pièce bénéficie ainsi d'une climatisation naturelle. A proximité, elle a fait construire une magnifique cabane en bois, à la base octogonale et de la taille d'une grande yourte. Son toit est surélevé au centre sur de petits piliers pour permettre l'évacuation de la fumée. En effet, de grosses pierres entourent un foyer sur le sol seulement recouvert de galets. Devant les bancs qui épousent les contours de la structure, des billots d'eucalyptus font office de tables basses. Quand la porte est fermée, la lumière n'arrive que du sommet du toit. C'est un endroit magique, idéal pour faire de la musique, et doté d'une bonne acoustique. - Photos : Une cabane à base octogonale pour des sessions de didgeridoo. -
Nous en avons tous assez de cette froidure. Bien des travaux ont été accomplis, la porte, le four, la consolidation de la clôture des animaux et l'installation d'une nouvelle cage à lapins, le repiquage de jeunes plants sur de nouveaux espaces défrichés, dépierrés et labourés. A l'unanimité, nous nous accordons pour aller nous promener du côté de Santa Cruz, où il fait toujours beau. A partir du village de San Andrés, nous nous engageons sur des routes de plus en plus étroites qui suivent le fond de barrancos densément cultivés en une mosaïque de petits jardins en terrasses. Arrivés au bout de la route de la "Valle grande" à mi-hauteur de ce contrefort du volcan, nous nous garons, empruntons un sentier et bifurquons très vite pour marcher en équilibre sur un aqueduc. - Photos : Grotte-bergerie - Chevrette -
Nous découvrons ainsi un paysage étonnant, hors de toute voie de communication et pourtant parsemé de bergeries, ruches et jardins en terrasses malgré les pentes assez vertigineuses. Sur une dalle rocheuse rose dépourvue de végétation, un grillage forme un cercle autour d'un trou béant et sombre. Lorsque nous nous en approchons, nous distinguons une chevrette qui nous regarde sans se déranger, préférant sans doute rester à la fraîcheur. Une autre est cachée derrière une palissade de bois. D'un réservoir d'eau aménagé dans une anfractuosité naturelle s'élèvent de puissants coassements. Installées sur des toiles abandonnées dans la mare, des grenouilles ventrues à la peau tachetée de brun plongent vivement dans l'eau verte à notre approche. Il s'agit sans doute de la grenouille verte (ou commune) (Rana klepton esculenta), espèce hybride issue d’un croisement entre la grenouille rieuse et la petite grenouille verte. C'est une espèce protégée, mais ses cuisses étant très appréciées des humains, elle demeure en danger. Ses autres prédateurs sur le continent européen sont par exemple les brochets, couleuvres, hérons ou martins-pêcheurs, mais ils doivent être absents de cette île, je pense. - Photos : Grenouilles vertes - Jardins en terrasses -
Bien abrité du regard, un troglodyte a fermé l'entrée d'une grotte perpendiculairement à la pente. Je fais un zoom sur une façade soignée, blanchie à la chaux, cela m'étonnerait que ce soit une simple bergerie. Seule notre situation sur l'aqueduc nous permet de l'apercevoir, elle doit être invisible du ciel, et plus précisément depuis un hélicoptère de la police qui patrouille régulièrement au-dessus de l'île. En effet, les autorités de Tenerife exercent une lutte permanente contre l'urbanisation "sauvage", que ce soit en parc naturel ou en zone agricole, Cédric et ses amis en ont fait l'expérience. A Tenerife comme sur la péninsule, l'Etat espagnol privilégie l'habitat regroupé et punit d'une lourde amende les contrevenants. En réalité, c'est l'habitat et les activités agricoles familiales traditionnelles qui deviennent peu à peu hors la loi sur tout le territoire de la communauté européenne. - Photos : Une habitation très discrète - Avocat en train de mûrir sur l'arbre. -
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