Cathy et Jean-Louis chez Cédric et Loreto | Le jardin d'Eden |
27 mai au 13 juin 2013 |
Ceux qui souhaitent avoir une simple activité de subsistance doivent se battre pour ne pas payer des charges et impôts conçus pour la grande monoculture et le grand élevage. Par exemple, si Cédric voulait vendre ses animaux sur le marché de La Orotava, il faudrait impérativement qu'ils soient vaccinés contre des maladies qui, soutient-il, ne se sont déclarées qu'en Europe du Nord. Ils devraient en outre répondre aux impératifs de traçabilité des produits alimentaires avec un marquage spécifique. Par contre, s'il fait de la vente directe à la ferme, le client est sensé se rendre compte par lui-même de la salubrité de l'élevage et il achète à ses risques et périls. De même, pour trois chèvres, il aurait dû théoriquement entièrement bétonner la bergerie et la recouvrir d'un enduit lisse pour que la saleté ne reste pas accrochée lors d'un lavage au jet. Cédric préfère leur offrir un local aéré, aux parois de bois (palettes et branchages) renforcées de murets de pierres sèches, au toit de tôle doublée d'une couche de végétaux secs et ombragée par les branches d'un prunier en pleine croissance. Le sol de terre nue est recouvert d'un tapis de fougères odorantes. Je suis témoin qu'aucune odeur désagréable ne se dégage de son enclos. - Photo : Un avocatier couvert de fruits -
A voir ces terrasses suspendues au-dessus du vide, je me demande dans quelles conditions ces gens travaillent, même pour du simple jardinage. Sur les secteurs vraiment trop escarpés, une autre végétation se développe. Nous voyons des «Bejeques», de la famille des Aeonium, plantes grasses en forme d'artichaut, à inflorescence jaune. L'euphorbe des Canaries, endémique, dresse sa silhouette semblable au cactus candélabre du Mexique. C'est de ce pays qu'a été importé le figuier de Barbarie ou "nopal" aux magnifiques fleurs jaunes ou oranges. Sur l'une des "raquettes", j'aperçois la tache blanche caractéristique d'une infestation par la cochenille, autrefois volontairement introduite pour la fabrication d'un colorant rouge. Comme je suis restée (comme d'habitude) un peu à la traîne, j'ai le loisir de rencontrer un magnifique lézard d'une longueur appréciable qui me rend mon regard sans trop de crainte, même si ce tête à tête ne dure pas bien longtemps. Nous n'avons pas à aller loin pour déjeuner. La route aboutit à une grotte aménagée en restaurant sans pancarte ni signalétique d'aucune sorte (uniquement connu par le bouche à oreille) qui offre des spécialités on ne peut plus locales, puisqu'elles sont produites dans le "barranco" même : chèvre (viande et fromage), accompagnée d'un vin très jeune et si corsé que Loreto nous conseille de le boire avec de l'eau gazeuse. - Photos : Poireau - Figuier de Barbarie - Ci-dessous, femelle de lézard canarien moucheté. -
Le dernier jour, Cédric et Loreto nous emmènent faire une promenade au-dessus du village de Los Silos, dans le "barranco" (canyon) des "cuevas negras" (grottes noires) qui mène au village d'Erjos où ils s'étaient rendus lors du tour de l'île des "indignados" (indignés) il y a deux ans. Sitôt passé un petit pont sur le ruisseau, il remarque sur la berge en pente raide des tomates cerises semées sans doute par les oiseaux. En deux bonds, il est en bas, et c'est la cueillette miraculeuse. Plus loin, le lit est envahi de plantes aquatiques aux feuilles immenses qu'il attribue à des patates douces, mais sont plus probablement des plants de taro (Colocasia esculenta de la famille Araceae) ou taro géant des marais (Cyrtosperma merkusii), dont le goût du tubercule se rapproche effectivement de celui de la patate douce (Ipomoea batatas de la famille des Convolvulacées). Quelques feuilles supportent une vraie collection de minuscules grenouilles vertes qui prennent un bain de soleil. - Photos : Tomate-cerise - Plants de taro -
Ce sont sans doute des rainettes méridionales. Contrairement à d’autres amphibiens, elles ne perdent que très peu d’eau par transpiration, grâce à leur sécrétion cutanée particulière. Cédric en capture une qui demeure sagement sur sa main, mais surveille nos faits et gestes d'un oeil vigilant. Lorsque je la prends pour la remettre sur une branche, elle s'échappe d'un bond gigantesque et se fixe sans peine à la première tige venue. Elle possède en effet des sortes de ventouses au bout de ses doigts et de ses orteils élargis en forme de disque adhésif qui sécrète une colle. La rainette verte a un larynx très important, qui représente un cinquième de sa taille totale, c’est le plus grand organe phonique des amphibiens d’Europe. Le chant est ainsi très puissant, on a pu mesurer une intensité de 87 décibels à cinquante centimètres d’un mâle chantant. L’énergie dépensée pour le chant est si importante qu’au cours de la période de reproduction, le mâle peut perdre jusqu’à 13% de son poids. Son sac vocal peut pratiquement atteindre la même taille que son corps. - Photo : Rainette méridionale -
- Photo : Le lézard canarien moucheté (lagarto canario moteado), lézard géant de Tenerife ou de Teno (Gallotia intermedia) est une espèce endémique de l'île de Tenerife. Dans le passé, il occupait tous les habitats de la superficie insulaire mais l'activité humaine depuis 2 500 ans et l'introduction d'espèces étrangères l'ont amené au bord de l'extinction. On le trouve seulement dans la zone nord occidentale de l'île, c'est la raison pour laquelle sa redécouverte n'a eu lieu qu'à la date si tardive de 1996. -
Ce fond de canyon abrité dénommé la Tierra del Trigo (terre du blé) héberge une profusion de plantes de toutes tailles qui s'entremêlent pour le plus grand plaisir des yeux. Un grand lézard au torse ponctué de jaune avec des traces de bleu traverse la rocaille sombre. En montant la côte, les jardins qui bordent la route étroite offrent un aspect bien différent suivant la mentalité de leur propriétaire. Soit ils sont plantés d'une triste monoculture d'arbustes dressés de loin en loin sur un champ de terre nue, soit ils débordent de plantes comestibles en un foisonnement d'espèces potagères et arborées qui fait rêver. Les branches sont chargées de fruits encore immatures. Bien plus haut dans la montagne, nous passons dans un tunnel formé par un entrelacs de branches de figuiers. Quel dommage que ce ne soit pas la saison !
Le chemin embaume de mille senteurs capiteuses. Une vigne pousse en pergola au-dessus de nos têtes. Elle a été plantée par un homme original que Cédric a rencontré jouant de la musique dans les rues des villes côtières de Tenerife. Il parcourt toute l'île à vélo depuis son paradis haut perché ! Loreto l'appelle, mais il n'est pas là. Il n'y a pas de porte. Nous pénétrons dans son jardin où les arbres fruitiers dépassent largement le toit de son habitation. Devant l'entrée, des boutures s'enracinent dans des pots emplis d'eau. Les oranges goûteuses pourrissent sur l'humus ombragé. La graine fendue d'un avocat à demi-mangé par un mammifère commence à germer sur un lit de feuilles mortes.
De retour sur la côte, nous poussons jusqu'à la Punta de Buenavista en limite du village de Los Silos où se dresse le squelette d'une baleine exposé à tous les vents. Là, Cédric et Jean-Louis se baignent dans une piscine naturelle à l'eau transparente parcourue de colonies de petits poissons qui naviguent en file indienne d'un bassin à l'autre. Elle porte un nom comique : "Charco los Chochos" (flaque d'eau les radoteurs). Loreto et moi demeuront frileusement sur le bord, découragées par le vent violent qui rebrousse les vagues. Pour bien terminer le séjour, nous dînons au bord de la petite anse de San Marcos, en aval d'Icod de los Vinos, où nous admirons des sculptures de caractère faites dans cette pierre noire poreuse si caractéristique de l'île. Une petite église dénommée "Ermita del Sagrado Corazon de Maria" se love entre de hauts immeubles construits pour les touristes. Le site de "La Ciudad del Drago" (la ville du dragon - de l'arbre fétiche, le draconnier) dénombre pas moins de 32 églises, chapelles et ermitages, rien que pour la ville d'Icod de los Vinos !
Nous avons fait bien d'autres excursions pendant ce séjour, dont je vais simplement donner un aperçu par une sélection de photos sur les pages suivantes. Jean-Louis et moi sommes descendus à pied de La Orotava à la petite plage d'El Rincon, 500 mètres de dénivelé avec un bain dans les vagues tièdes chargées de sable noir. Nous sommes montés au Portillo de Las Cañadas, à l'entrée de la caldera du Teide, à partir d'où nous avons fait un petit circuit pédestre autour de la Montaña de Guamaso. Cédric nous a emmenés au-dessus de chez lui marcher dans la grande forêt de pins canariens qui ceinture le volcan. Partis pour une petite promenade, nous sommes finalement revenus à la nuit !
Nous avons rendu visite à son voisin menuisier-apiculteur, alors qu'il ramassait les pommes de terre en famille dans le petit champ au bord duquel il a installé ses ruches. Un autre jour, après avoir passé la journée à Santa Cruz où Jean-Louis et moi avons parcouru les très intéressantes salles d'expositions du musée archéologique, nous sommes montés tous les quatre à l'observatoire astronomique de Tenerife où nous avons eu droit à une visite privée exceptionnelle de quelques unes des installations. Nous avons aussi eu la chance d'être présents à la période des fêtes de La Orotava. Le clergé organise une procession à l'occasion de la cérémonie religieuse du Corpus Christi depuis la cathédrale et les rues alentours, jusqu'à la place de la mairie. Les chaussées sont interdites à la circulation automobile et sont investies par les fidèles qui élaborent, en famille ou en groupement associatifs, de magnifiques compositions faites de pétales de fleurs, de sables colorés et de débris végétaux. Enfin, nec plus ultra, nous avons assisté à l'installation de l'électricité chez Cédric ! Elle a été effectuée par un de ses élèves de didgeridoo qui a troqué un instrument fabriqué par Cédric contre ce travail. A la fin de la journée, les ampoules fonctionnaient sur batteries. Il ne manquait plus que le panneau solaire pour les recharger. Toutefois, en l'absence d'abat-jour, la lumière trop crue manquait de poésie, et nous avons préféré à l'unanimité rallumer les bougies pour jouer au mus le soir !
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