Cathy, Jean-Louis chez Cédric et Loreto, avec Jonathan, Alexis et Marie | Un bateau dans le ciel |
Séjour du 24 octobre au 7 novembre 2012 |
Depuis que Cédric a quitté la capitale Santa Cruz pour s'installer en altitude, il ne cesse de s'émerveiller du ballet incessant des nuages. Les hautes températures qui devraient résider sur l'île de Tenerife en raison de sa proximité du tropique du Cancer et du désert du Sahara (moins de 300 km) sont adoucies grâce à l'influence océanique et au courant froid des Canaries. D'autre part, le volcan, qui culmine à 3718 m, est le point culminant de l'Espagne et il induit une notable variation thermique en fonction de l'altitude. Ce relief provoque également une perturbation, de 600 à 1500 m, entre alizés inférieurs du Nord-Est, frais et humides, et alizés supérieurs du Nord-Ouest, chauds et secs (souvent les températures à 2000 m sont supérieures à celles de La Laguna, la ville universitaire du Nord de l'île). Dans cette zone de contact se produit alors un phénomène original, la formation d'une "mer de nuages", dont l'humidité est captée par les pins des Canaries, ruisselle jusqu'au sol et s'infiltre dans le réseau dense des réserves aquifères naturelles de la roche volcanique poreuse. - Photo : Depuis chez Cédric, vue sur un nuage en formation au-dessus des pins. -
Lorsque le Sahara exhale la "calima", un souffle brûlant et desséché, chargé de poussières sableuses, toute l'île souffre, végétation, bêtes et gens confondus. Cet été, la sécheresse a duré plusieurs mois et la canicule pendant de nombreux jours d'affilée, au point de rendre malade les deux chiennes Lua et Pluma, puis Loreto et enfin Cédric, avec dérangements intestinaux, maux de tête et immense fatigue. Nous arrivons au contraire au moment d'une perturbation majeure (et bienvenue pour les Tinerféniens), qui s'accompagne de pluies et de vents violents, heureusement entrecoupés de périodes calmes. Le Teide se couvre d'un béret de nuages de mauvais augure qui semble curieusement à la fois stagner et dévaler le long de ses pentes. Ces intempéries sont dues à l'arrivée d'un courant d'air en provenance du sud-ouest, aux caractéristiques tropicales, très chaud et humide, qui active la formation de nuages en développement vertical qui, en heurtant le relief des îles, s'épaissit encore plus et tombe en pluies diluviennes (entre 80 et 100 litres par mètre carré), également quasi tropicales. Cette bourrasque centrée au sud-ouest des Açores demeure stationnaire, car elle est bloquée par son principal ennemi, l'anticyclone des Açores qui s'est retiré très au nord par rapport à sa position géographique habituelle à laquelle il doit son nom.
Dans l'idée de faire un peu de tourisme, nous descendons à Puerto de la Cruz où nous découvrons les rues jonchées de débris végétaux, des arbres malmenés, quelques tuiles ou tôles arrachées aux toits. Nous trouvons fermé le musée ethnologique que nous voulions visiter, de même que les magasins, restaurants et bars, et dévasté le bord de la petite plage au sable noir où la cabane du marchand de châtaignes et autres douceurs est démantibulée en pièces détachées dispersées sur une grande surface. Un des pans vitrés gît dans la mer, malmené par le ressac. Loreto part enquêter auprès d'un des rares marchands de journaux ouvert, et nous apprenons que tout l'archipel des Canaries, et tout particulièrement les zones d'altitude de Tenerife (La Orotava et Vilaflor), ainsi que La Palma, est en alerte orange. La "Agencia Estatal de Meteorología" (Aemet) a annoncé le 30 octobre des rafales de 90 km/h pour l'île voisine, et 100 km/h pour cette vallée. Les îles de El Hierro et La Gomera pourraient être également affectées par les intempéries. Il faut préciser que Cédric et Loreto vivent sans électricité. Loreto a bien une petite radio à piles, mais elle n'a pas pensé à l'écouter, et dans la voiture il y a aussi une radio, mais elle n'est allumée que lorsqu'ils vont faire une course.
Nous examinons avec inquiétude l'immense nuage lenticulaire qui stagne au-dessus des crêtes de La Orotava, avance légèrement, puis recule, dans une valse hésitation menaçante, assombrissant par moment la vallée. Nous nous sentons minuscules et impuissants devant cette force de la nature qui semble prête à se déchaîner et à dévaster l'île. Cédric est de plus en plus fébrile ; il nous presse de regagner la voiture pour qu'il puisse remonter chez lui et veiller au grain près de ses bêtes. Il craint, si nous tardons davantage, d'avoir des difficultés à circuler et que le vent nous bloque sur le chemin du retour. Depuis la côte, l'observatoire astronomique du Teide se détache sur sa plate-forme de Las Cañadas, juste sous la masse tourbillonnante. C'est très impressionnant.
Toutefois, le plus fort de la bourrasque ne se ressent que sur la côte. Au fur et à mesure que nous prenons de l'altitude, le vent se calme, et nous faisons même une pause pour observer le coucher de soleil à l'opposé du nuage géant. En bordure de la route, nous voyons un ancien moulin avec une poutre énorme. Bruno Juan Álvarez a collecté des informations sur l'ancienne route des moulins de La Orotava. Il subsiste notamment celui de Don Chano ou celui de La Máquina, de Ángel Nono Domínguez, qui continuent d'élaborer artisanalement un des meilleurs gofios de l'île. Depuis le XVIe siècle, le grand flux d'eau des sources d'Aguamansa a été transporté par aqueduc depuis la montagne, traversant toute la ville pour approvisionner la population et irriguer les terres fertiles de la vallée. Tirant profit du grand dénivelé, ce flux à grand débit a permis la construction d'un ensemble de treize moulins reliés les uns aux autres par un même conduit réalisé en bois de "tea" (pin canarien, Pinus canariensis) soutenu par des montants verticaux. Ils se composent tous d'un cube de maçonnerie où s'accumule une réserve d'eau. La chute entraîne une paire de roues hydrauliques reliées à la meule du moulin dont la pierre écrase le grain de maïs ou de blé préalablement grillé. - Illustration : Conduit d'amenée d'eau en bois de "tea" de La Orotava. Photo cédée par la municipalité de La Orotava. - Photo : Canal d'irrigation en haut de la propriété de Cédric, avec pente d'accès. -
Comme la vallée est abritée du vent, elle ne permet pas l'installation de moulins à vent. - A l'heure actuelle, les éoliennes sont effectivement implantées au Sud de l'île -. Comme le soulignait le professeur Alfonso Trujillo Rodríguez, ce sont ces treize moulins qui ont articulé l'organisation ultérieure de l'espace urbain de La Orotava, fondée juste après la conquête de l'île et qui s'accrut précisément comme une frange étirée du sud au nord, suivant le conduit d'alimentation des moulins. L'un des plus anciens, construit en 1503 sur un méplat de la montagne par Lope Gallego, est situé à proximité de l'ermitage de Santa Catalina. Il produisait de l'énergie hydraulique pour actionner la scierie implantée entre les chemins d'Aguamansa et de El Sauce. - On retrouve ici une illustration du propos abordé en début de texte, au sujet de l'exploitation forestière -. Près de la place de La Piedad subsiste encore le moulin du Cubo Alto, le plus élevé de tous. Il en existait un aussi en face de la Casa de los Balcones, propriété de la famille Franchi, qui fut détruit lorsque les jésuites construisirent un collège dans la zone. Dix demeurent encore, dont trois en fonctionnement, bien qu'ils ne soient plus mus par l'eau, mais par l'énergie électrique. - Photos : Ancien aqueduc enjambant un "barranco". - Incendie. -
Nous arrivons donc sans encombre à la "Calle de las Maravillas" - Rue des Merveilles (cela ne s'invente pas !), mais dans la soirée, un incendie se déclare sur un versant éloigné. Nous apercevons les hautes flammes qui gagnent du terrain et les arbres qui flambent comme des torches. Un lampadaire était tombé vers midi, provoquant un court-circuit, mais c'est le frottement de branches de pins contre un câble électrique à haute tension qui mit le feu vers 8 heures du soir à un bosquet situé sur un flanc de Tigaiga, à La Azadilla, près de Los Realejos, très près d'une dizaine d'habitations dont les occupants furent évacués pour la nuit. Heureusement, la pluie redémarra vers une heure et demie du matin, venant à la rescousse des pompiers. Environ 3000 m² furent brûlés, selon des sources municipales. - Photo : Poussin d'une espèce locale (negras, jabadas ou camperas trigueñas ?) -
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