Cathy, Jean-Louis chez Cédric et Loreto, avec Jonathan, Alexis et Marie
Un bateau dans le ciel
Séjour du 24 octobre au 7 novembre 2012

spéléo

spéléoLe 3 novembre, Cédric nous a réservé une visite spéciale : nous allons entrer dans les entrailles du volcan, à la "Cueva del Viento", la grotte du vent, située sous la municipalité de Icod de los Vinos. Il a une copine navarraise géologue qui motive toute une joyeuse bande à laquelle nous nous joignons. Le guide est très appliqué et consciencieux. Il distribue d'abord des bonnets "hygiéniques" à mettre sous le casque, des lampes frontales, surveille que nous soyons bien couverts, mais pas trop, et nous donne les recommandations d'usage. En dépit de son nom, le Pico Viejo est plus jeune que le Teide. Il y a 26 000 ans, une mer de lave liquide et fluide s'est écoulée à 1100°C, formant une croûte à la surface qui refroidissait au contact de l'air, mais elle continuait à s'écouler en torrents au-dessous, ce qui a fini par former des tunnels. lavePlus tard, une autre lave, beaucoup moins liquide, de consistance visqueuse, s'est échappée du Pico Viejo à 600°C en formant une sorte de canal dont les bords dominent ici le paysage à 40 m de hauteur. Sur un tel substrat, il y a très peu de terre, et seul le pin canarien arrive à coloniser ce sol primaire qui descend en ligne droite jusqu'à la mer. On distingue ainsi maintenant une roche lisse, "la laja", correspondant à un refroidissement rapide de la lave, et surnommée à Hawaï "Pahoihoi" (pieds nus), qui remonte à 17 000 ans, grotted'une roche plus épaisse refroidie plus lentement et donc rugueuse et recouverte de plus de terre. Par endroits, on voit de la lave cordée. Le conduit dans lequel nous allons pénétrer ne va pas d'un seul tenant jusqu'à la mer, ce n'est qu'un tronçon qui s'interrompt au bout de 18 kilomètres à cause de la formation de bouchons de lave ou d'effondrements. Il y a donc une succession de grottes : San Marcos, Candelaria, Cueva del Viento... Le conduit se trouve à une profondeur de 4 à 10 m et fait environ 5 m de large au niveau de la grotte pour se rétrécir ensuite en goulets qui s'étranglent parfois. Sur Tenerife, on compte environ une centaine de grottes de ce type. L'un des orifices s'appelle "la sima de la vieja" car une vieille dame y tomba vers 1920, survécut à sa chute de 17 m de hauteur, mais eut bien sûr son corps fracturé et elle dut être remontée du gouffre, tirée par un âne. Lorsqu'on eut nettoyé les alentours du trou, on découvrit d'autres grottes (il y en a en fait sur trois niveaux), correspondant à plusieurs éruptions volcaniques.

grottePour nous rendre à une autre entrée de la grotte moins dangereuse, qui est aménagée avec un accès par un escalier métallique, nous remontons un sentier soigneusement pavé. Il fait partie des "caminos reales", chemins royaux qui, jusqu'à la moitié du XIXe siècle, étaient les principales voies de communication qui unissaient les villages, et qui étaient parfois d'anciens chemins des Guanches améliorés par la construction de murets de délimitation et un empierrage.

Un des premiers chemins ruraux construits après la conquête est celui qui unissait La Laguna à Taganana, car la production de sucre dans cette zone rendait nécessaire une voie de communication pour le transport de ce produit. Ce furent les habitants de ce lieu, en 1506, qui en eurent la charge et en confièrent la construction à Cristóbal Rodríguez de León, puis son achèvement à Fernando de Gallegos l'année suivante.

pillow lavasLe guide travaille pour IDECO, une société qui dépend des autorités administratives de l'île. Elle voudrait que le monde souterrain de l'île dont elle a la charge soit un espace protégé, et que le terrain au-dessus soit acheté, au moins à l'emplacement des grottes, soit ici sur 3 km de longueur et 500 m de dénivelé. A l'intérieur de la Cueva del Viento, la température est constante à 13-14°C, mais quand il fait chaud à l'extérieur, cela provoque un courant d'air, d'où le nom de Grotte du vent. Elle héberge plus de 190 espèces, dont 48 sont troglobites (animaux qui ne vivent qu'en milieu souterrain) ; en outre, cet espace naturel possède de nombreux fossiles d'animaux disparus. Il termine sa visite en montrant en surface une ancienne aire de battage des céréales entourée de terrasses qui reviennent à la friche et se couvrent de pins canariens et de bruyère arborescente. battageElles étaient anciennement exploitées par les Guanches dont l'un des produits phare est le gofio, originellement constitué de farine d'orge et de blé aux graines préalablement grillées, mêlées à des rhizomes de fougères. - La botaniste Jeanette Breton signale que ce qui l'avait frappée, c'est la présence de 'pain de fougères' (Ptéridium aquilinum, dont le rhizome est riche en amidon) dans l'estomac des momies guanches..., également consommé autrefois en Europe continentale -. Quelques paquets sont curieusement en vente sur le comptoir du local des guides, par "militantisme" - défense de la culture locale traditionnelle. Celui-ci comporte également un espace d'exposition très bien fait, avec des petites vidéos explicatives sur la formation de l'île. - Photos : Pillow lavas (lave en coussin) - Agriculture traditionnelle à Tenerife. -

Le jour de notre départ, il pleut des trombes. Des torrents d'eau boueuses traversent la route, des bas-côtés s'effondrent. Sur l'autoroute, aucune des deux files de voitures n'avance, nous sommes obligés de faire un grand détour par le haut, traversant les villages à toute petite vitesse, Cédric le nez sur le pare-brise qui ne désembue pas. Mais dès que nous dépassons une ligne frontière invisible, les gouttes s'espacent et nous entrons dans un paysage désolé, où les quelques arbres des terrasses abandonnées dressent des branchages dénudés, secs et morts. gofiobanquesIci, dans le sud, toute l'eau amenée par canalisations depuis le nord de l'île est réservée aux touristes. Une partie des terrains de moyenne altitude a été achetée par des spéculateurs en prévision de l'activité qui sera engendrée par le port et la zone industrielle de Granadilla dont la construction se poursuit en toute illégalité. Ailleurs, les agriculteurs et éleveurs qui n'ont plus l'autorisation d'utiliser l'eau à des fins agricoles ont été obligés de trouver du travail sur la côte. - Photos : "3 jours de grève de la faim" - Paquets de Gofio -

Des voisins pompiers racontent à Cédric leur colère devant l'attitude des autorités politiques qui ont retardé tant qu'elles ont pu le moment de leur intervention pour lutter contre les incendies qui se sont déclarés au cours de l'été 2012. grève"Les politiciens se pavanaient avec des journalistes dans les hélicoptères au-dessus des flammes pour faire croire qu'ils étaient consternés et qu'ils agissaient, mais c'était tout le contraire, nous avons été obligés d'attendre les bras croisés durant des jours grèveavant qu'on nous donne l'ordre de nous rendre sur les lieux." Peu d'hydravions ont été envoyé par l'Espagne continentale qui ne voulait pas risquer de se trouver en manque si un incendie se déclarait au même moment sur la péninsule. Les informations délivrées par les médias étaient erronées ; l'unique souci de l'office de tourisme était de tranquilliser les estivants en disant que les incendies ravageaient la végétation en altitude, mais ne mettait aucunement en danger les villes côtières, - et pour cause, puisque la côte sud et la moyenne montagne sont désormais nues, la terre est tellement desséchée qu'elle est réduite en poussière soulevée en nuages par le vent qui souffle en permanence -. - Photos : "Carmen fait la grève de la faim - Si Bankia est à nous, les maisons sont à nous !" -

pinCe comportement irresponsable sur un demi-millénaire porte déjà malheureusement ses fruits. Depuis 1997, un Plan hydrologique insulaire a été instauré par le "Cabildo insular de Tenerife" (un genre de préfecture de l'île) qui prend conscience de la limitation des ressources hydriques. Réalisé pour mettre en application la loi sur l'eau des Canaries votée en 1990, il analyse la consommation par secteurs et il étudie des solutions "pour augmenter le flux et la production d'eau". Selon le "Consejo Insular de Aguas" (conseil insulaire des eaux), les eaux souterraines continuent d'être la principale ressource de l'île (90% des disponibilités totales). eauToutefois, deux problèmes s'amorcent, la surexploitation et la diminution de la qualité. La consommation s'est stabilisée et bien que l'agriculture ait eu tendance à diminuer ces dernières années, elle continue d'être le principal consommateur avec près de 50% du total - très certainement à cause des cultures intensives destinées à l'exportation (banane, tomate et fleurs) -. Par ailleurs, la consommation de la population habituelle et des touristes a augmenté. - Photo : Jeune pin canarien - Schéma : Tenerife, transvasement et bilans hydrauliques. -

desaladora"Il est donc nécessaire de trouver d'autres sources d'approvisionnement, en réutilisant les eaux issues des stations d'épuration et en construisant des centrales de dessalement d'eau de mer", conclut le Conseil insulaire des eaux, qui effectue la même fuite en avant que les Espagnols de la péninsule. "Il faut améliorer la qualité de l'eau et le réseau des canalisations pour éviter les pertes. La première usine de dessalement d'eau de mer (EDAM) installée au sud de l'île a commencé à fonctionner en juillet 1998, châtaigneset une autre existe depuis 15 ans dans la capitale Santa Cruz" - ce qui montre que le Plan hydrologique insulaire a été établi bien après que des options décisives aient déjà été prises sur l'orientation de l'île dans ce domaine -. "Les stations d'épuration (EDAR) permettent une réutilisation dans divers types de consommation. Des usines d'amélioration des eaux souterraines ont été implantées pour réduire la proportion de minéraux (fluor) et de sels qui résultent de la surexploitation des nappes aquifères souterraines." - Photos : Usine de dessalement d'eau de mer à Santa Cruz - Châtaignier. -

pinLa même source souligne le rôle essentiel des forêts, sans en tirer les conséquences. Elles permettent une meilleure infiltration de l'eau de pluie grâce aux profondes racines des arbres et au couvert végétal du sous-bois qui fait office d'éponge, évitant qu'une grande partie de l'eau ne ruisselle directement jusqu'à la mer sans lui laisser le temps de pénétrer dans la roche volcanique poreuse. Par ailleurs, les nuages se condensent sur les feuillages, mettant également à profit une eau qui sinon serait perdue. planteElle ne mentionne pas une autre fonction de la végétation, qui tempère le climat tout simplement en absorbant le rayonnement lumineux au lieu de le renvoyer comme le ferait un sol nu, et qui atténue et disperse la force du vent au sol, protégeant ainsi l'ensemble du biotope. Il me semble, mais il faudrait des sources statistiques météorologiques sur ces 500 dernières années pour pouvoir le démontrer, que l'éradication des arbres (genévrier de Phénicie, laurisylve...) a certainement été très dommageable pour le climat de Tenerife, notamment au Sud, mais également dans le nord, puisque le contenu des nappes phréatiques se détériore. pinPour en extraire l'eau, il existe plus de mille galeries souterraines, mesurant plus de 1700 km, auxquelles il faut ajouter 500 puits d'une profondeur moyenne de 120 m. En sus des réservoirs naturels dans la roche, Tenerife a construit des barrages de retenue qui représentent ensemble 22 hm3, dont 8100 bassins privés d'une capacité de 13 hm3. Le réseau de conduites d'eau, canaux et tubes, fait plus de 4000 km de long. - Photo : Pin canarien -

Une île est un milieu fragile et toute modification de son environnement induit des conséquences considérables. Il ne faut pas croire que je fais oeuvre de sensiblerie ou d'extrémisme écologiste en détaillant ainsi la destruction des forêts primaires par les sociétés humaines, ni que je préfère les plantes et les animaux aux humains, palmierce qui n'aurait pas de sens. Je pense seulement qu'un diagnostic ne peut être effectué que si l'on connaît bien les éléments en présence, et je doute que les conclusions qui s'imposent selon moi soient une évidence pour les décideurs, autant de l'île que de l'Europe entière qui a sa responsabilité dans cette évolution. J'irais même plus loin, il me semble que ce qui se passe sur l'île est un révélateur du mode de pensée européen depuis cinq siècles, et qu'un changement ne peut s'opérer que par une prise de conscience que les ressources ne sont pas infinies et que notre survie à long terme dépend de l'attitude que nous adoptons à l'égard du monde, minéral, végétal, animal avec lequel nous coexistons. - Photos : Pin canarien et lichen - Fibres du palmier -

SOMMAIRE Pages 1 2 3 4 5 6 7 8