Richard et Anna, Marion et Sophie, Cathy et Jean-Louis, conduits dans un minibus par le chauffeur indien Bipin en Rajasthan / Réception de Cathy et Jean-Louis à Mumbai chez Ramya, Shri et Mahesh, puis chez Rashmi et ses parents, et visite d'un jardin botanique avec Maithili. | Circuit en Rajasthan / Séjour à Mumbai |
3 au 16 mars au Rajasthan et du 16 au 22 mars 2013 à Mumbai |
Sachant cela, un détail aurait dû nous étonner. Comment est-il possible que l'art figuratif ait pu perdurer, et qui plus est, une représentation de la nature végétale, animale et humaine aussi exubérante, que ce soit dans les temples, innombrables, ou les palais, somptueux ? Pour trouver un élément de réponse, il faut faire un détour par la Perse. Envahie par les Musulmans au VIIe siècle, par Gengis Khan au XIIIe siècle et par Tamerlan au XIVe siècle, elle conserve pourtant sa langue, le persan, et continue à célébrer les fêtes religieuses zoroastriennes. Comme la Grèce vis à vis de Rome, elle a été conquise militairement, mais elle a apporté sa culture aux vainqueurs. Les envahisseurs de l'Inde, qui transitent par la Perse, sont par conséquent très influencés par cette civilisation, comme on nous le fera remarquer en matière d'architecture, art et décoration intérieure au Rajasthan. C'est sans doute aussi l'élément qui tempère la pratique de l'islam, car plusieurs empereurs feront preuve de tolérance à l'égard des autres religions pratiquées en Inde, jusqu'à laisser des musulmans se convertir à l'hindouisme. - Photos : Fort Junagarh à Bikaner, détail d'une peinture du Badal Mahal. - Musicien jouant du Mayur Veena dont la caisse de résonnance est formée par le corps d'un paon, sa tête prolongée du cou et du poitrail faisant office de figure de proue de l'instrument. -
Nous visitons le Fort Junagarh de Bikaner, construit dans le style Rajput (c'est à dire du Rajasthan) du XVIe siècle. Son architecture reflète l'influence moghole dans ses décorations de stuc, de peintures murales, de marqueterie, sculpture en mosaïque et treillis de pierre. Nous admirons le travail du verre, de la laque et du bois pour les plafonds. Tout est magnifique, mais ma préférence va au Badal Mahal (le palais des nuages) qui est le plus original. On y trouve deux coffres vitrés où sont présentés le Mayur Veena et le Garud Veena, deux instruments à cordes dont l'un est orné de deux paons. L'histoire en est plaisante : le Maharaja Sardar Singh Ji aimait jouer des compositions classiques et du Rag Malhar qui célèbre la mousson. Mais comme elle était rare dans ces confins du désert du Thar, il fit peindre des nuages, des éclairs et des gouttes de pluie sur les murs et les plafonds pour en jouer à sa guise ! J'ai aimé aussi une des lettres exposées, écrite par un Maharaja Rajpoute apparemment amoureux et qui l'orna fort joliment de petits dessins. - Photo : Fort Junagarh à Bikaner, lettre d'un maharaja rajput. -
La première pierre du Fort Junagarh a été posée par Karni Mata (Miracles Mère), une sage hindoue adorée comme étant l'incarnation de la Déesse Durga. Elle vécut une vie d'ascète et elle est la déité officielle de la famille royale de Jodhpur et de Bikaner. Le plus célèbre des temples qui lui sont dédiés est situé à une trentaine de kilomètres de Bikaner, à Deshnok. A l'intérieur, des centaines ou milliers de rats y circulent librement, nous les voyons s'abreuver dans de grandes jattes emplies de lait et consommer une sorte de friandise en pâte friable orange. L'odeur est difficile à supporter, bien qu'un préposé balaie les crottes pour permettre aux fidèles de fouler pieds nus le sol (les touristes ont la possibilité d'enfiler des chaussons de fin tissu blanc). Une jeune mère fait embrasser l'oratoire à son bébé (les fidèles considèrent que la nourriture ou les boissons goûtées par les rats sont "prasad" - bénies - ; ainsi, par exemple, les dévots trempent leurs doigts dans le lait offert aux rats, puis les lèchent ensuite en signe de communion avec la divinité). De même que le taureau est la monture du Dieu Shiva, l'oie celle du Dieu Brahmâ, Garuda (le roi des oiseaux) celle du Dieu Vishnou, le rat est aussi la monture du Seigneur Ganesh, Dieu à tête d'éléphant très populaire et omniprésent en Inde. Nous sommes dans un autre monde. Toutefois, nous pourrions faire un parallèle avec une symbolique similaire pour Jésus qualifié d'agneau de Dieu, et les apôtres symbolisés par le lion pour Marc, le taureau pour Luc, l'homme pour Matthieu et l'aigle pour Jean. - Photos : Fort Junagarh à Bikaner, salle du trône. - Ci-contre : Anna a photographié les rats qui lapent le lait qui leur est offert au temple de Karni Mata à Deshnok. -
Par ailleurs, le Lotus sacré ou Lotus d'Orient (Nelumbo nucifera Gaertn.) est une plante aquatique dont la fleur est sacrée dans les religions orientales (bouddhisme, brahmanisme) où les divinités sont représentées sur un trône en fleur de lotus. C'est aussi la fleur nationale de l'Inde. Chaque temple possède un édifice en forme de bouton de lotus, ce qui leur donne un air élancé mais dans des dimensions proportionnées à l'ensemble du bâtiment. Il s'agit du Śikhara (pic de montagne, en sanskrit), qui surmonte le sanctuaire du dieu, et fait penser à nos flèches gothiques ou aux minarets musulmans. - Photos : Temple hindou. - Fleur de lotus en bouton. -
De retour à Bikaner, nous donnons quartier libre à Bipin, car nous souhaitons visiter la ville et ce n'est pas possible en minibus avec cette circulation et l'étroitesse des rues. Il nous confie à deux conducteurs de tuk-tuk auxquels il donne quelques instructions, et nous partons dans un horrible boucan de moteur de mobylette en fin de course. Nous avons l'impression d'aller à fond les manettes, d'autant que ces petits véhicules sont dépourvus de portières (et de suspensions) et que nous frôlons taxis, rickshaws, bêtes et gens. Nous sommes compressés à trois sur le siège arrière, et la vue est limitée par le toit très bas. Nous nous penchons pour mieux voir le spectacle des artisans et commerçants devant leurs échoppes minuscules et sombres, toutes en longueur. Tout se vend, tout se répare, et l'activité grouillante se développe à ciel ouvert, parfois à l'abri du soleil sous une bâche en équilibre instable. C'est vraiment très intéressant à voir, nous avons l'impression d'une société composée de strates sociales qui vivent chacune à un siècle différent, mais coexistent bien sûr simultanément. - Photo : Tuk-tuk. -
Les paysans arrivent de la campagne à pied avec leurs ballots sur la tête, ou poussant une charrette à bras avec leurs fruits et légumes, ou encore conduisant une charrette tirée par un âne, un cheval ou ici plus fréquemment un dromadaire pour emporter des marchandises plus lourdes, empilages de briques, ballots volumineux. Nous voyons des citadins à vélo, à tricycle qui transportent des passagers à l'arrière (rickshaw) ou des marchandises, des scooters avec les passagères en sari assises en amazone, des motos, souvent flambant neuves et étincelantes de propreté, mais sur lesquelles sont juchées deux, trois, voire quatre personnes, les fameux tuk-tuk, les taxis, camionnettes, camions, et enfin les voitures des particuliers, avec une gamme assez étendue, qui va jusqu'à la grosse pédante aux vitres aux verres fumés du nouveau riche content de l'être et de le faire savoir. J'oublie de mentionner les inévitables vaches qui circulent librement et placidement au milieu de tout ce bazar et les chiens qui dorment sur les bas-côtés sans crainte d'être écrasés !
Les klaxons éclatent de partout, tout véhicule motorisé se faisant un devoir de prévenir celui qui le précède de bien vouloir se pousser pour qu'il le double ! Les gaz d'échappement, la poussière, la chaleur rendent le trajet un peu pénible, sans parler des cahots dus à l'état des chaussées, souvent défoncées et bordées de profonds caniveaux que nos roues effleurent allègrement. Il n'y a pas vraiment de code de la route, la conduite à gauche n'est pas toujours respectée et il n'est pas rare de voir quelqu'un débouler à contresens. Les feux de signalisation semblent là pour la décoration, même si parfois, nous ignorons pourquoi, le trafic s'arrête pour laisser passer le flot perpendiculaire. Il arrive aussi qu'un agent de police s'agite au milieu d'un carrefour, sans effet sensible sur la fluidité de la circulation.
Bobby, le directeur de l'agence de voyage, nous avait annoncé que nous serions sur un circuit très touristique. Ce n'est pas l'impression que nous avons. Certes, les grands monuments sont très fréquentés, mais aussi par des hordes de touristes indiens (bruyants) découvrant leur pays. Petit détail amusant : je me souviens de la fin de visite d'un palais. Dans le dernier patio, un magnifique bouquet trône au centre, et les indiennes qui passent devant moi s'emparent chacune allègrement d'une des grandes fleurs. Heureusement, un gardien est là pour leur apprendre à respecter le site. Il doit courir après elles pour récupérer une à une les longues tiges qu'il réintroduit délicatement dans le vase ! Par contre, dans les campagnes, les villages et les villes que nous traversons, nous n'avons jamais la sensation que les gens dépendent du tourisme pour vivre. Nous retrouvons certes régulièrement, dans les quelques restaurants et hôtels sélectionnés pour les occidentaux, des touristes qui font un voyage similaire au nôtre, mais le reste du temps, nous sommes immergés dans la société indienne.
Notre conducteur de tuk-tuk est très bien, il conduit avec adresse et nous signale les curiosités au passage. Par contre, Anna, Sophie et Marion sont avec un excité qui donne des coups de volant et rouspète tout le temps, il se retourne vers elles pour leur faire des avances, et à chaque arrêt dans les embouteillages, elles sentent le regard insistant des hommes dans la rue. Du coup, elles stressent et lorsqu'il leur intime l'ordre de descendre, elles refusent, inquiètes de ce qui peut leur arriver. Elles se sentent perdues dans ce dédale de ruelles populeuses où nous nous sommes enfoncés, à la merci d'un conducteur peu scrupuleux et peut-être malhonnête, incapables de retrouver seules l'hôtel, la tête emplies de faits divers relatant des viols et des agressions sur des touristes. Evidemment, il y a aussi le problème de la langue, l'incapacité à se comprendre et à pouvoir échanger, le conducteur de tuk-tuk ne balbutiant que quelques mots d'anglais. - Photos : Havelis aux façades sculptées à Bikaner. -
Sur ce, nous nous approchons et leur expliquons que notre chauffeur nous a invités à marcher sur quelques mètres pour aller voir des Havelis. Nous ignorons pour quelle raison nous ne pouvons passer devant en tuk-tuk, mais une halte est bienvenue après ce trajet bruyant au rythme heurté. Nous sommes enthousiastes, mais elles n'ont pas confiance. Nous les voyons apeurées, elles veulent rentrer directement et immédiatement à l'hôtel. Finalement, elles acceptent de patienter dans leur véhicule pendant que Jean-Louis, Richard et moi allons voir les façades des Havelis entièrement sculptées, les murs sont de la vraie dentelle, il y en a plusieurs qui se font face, sur presque tout un quartier. Je zoome sur un détail d'une corniche au-dessus d'une entrée : bien évidemment je retrouve une sculpture à thème religieux, reconnaissable à la divinité assise sur une fleur de lotus et encadrée par deux éléphants. Nous remarquons aussi, accessoirement, le réseau inextricable de fils électriques qui pendent des murs et sont tirés par-dessus les rues d'un bâtiment à l'autre, un vrai poème ! - Photo : Confection de colliers de fleurs pour les temples et les mariages. -
A notre retour en France, l'insécurité sera le premier sujet abordé, à cause d'un meurtre et viol perpétrés à l'encontre d'un couple de touristes campant dans la campagne autour d'Agra, et de manifestations "explosives" à Delhi peu avant notre arrivée en Inde, largement diffusés à la télé et dans les journaux français. Toutefois, comment peut-on imaginer que, sur une population de plus d'un milliard de gens, il ne puisse pas se passer des problèmes de temps à autre ? J'ai un souvenir de jeunesse qui m'est toujours resté. C'était en 1976, j'effectuais un travail d'été dans la ville de Cologne et j'avais eu l'opportunité d'aller passer une semaine à Berlin. A cette époque, l'Allemagne était encore divisée entre l'Est et l'Ouest, et nous avions décidé d'aller passer quelques heures de l'autre côté du Mur. N'ayant qu'un peu de menue monnaie à dépenser, j'achetai un journal et lus les "informations". Tous les passages se rapportant à l'Occident mettaient en exergue des aspects totalement anecdotiques, donnant l'impression, soit que nous étions fous, soit que nous vivions dans des conditions vraiment abominables. Dès cette époque, je pris conscience de l'effet de loupe des informations journalistiques et de la déformation qu'il engendrait sur l'idée que nous nous faisions des pays étrangers. Pour revenir à l'Inde, nous avons vu les femmes se déplacer en tout lieu et à toute heure du jour ou du soir, manifestement libres d'aller et venir sans nécessité d'être accompagnées par un homme, habillées comme si elles se préparaient à aller au bal dans des saris somptueux. Le seul endroit où nous avons senti une véritable animosité à l'égard des femmes, ce fut dans une mosquée de Delhi qui nous réserva un accueil déplorable qui n'est pas à l'honneur des musulmans postés en gardiens de ce lieu de culte. - Affiche : Ne dites pas à vos filles de ne pas sortir la nuit. A la place, éduquez mieux vos fils ! Les Reines arrivent bientôt... -
Les deux conducteurs de tuk-tuk nous arrêtent de nouveau sans que nous ayons demandé quoi que ce soit, si ce n'est de rentrer à l'hôtel. Nous acceptons de descendre après avoir compris que nous sommes devant un atelier de miniaturistes dont on peut aller observer le travail, sans obligation d'achat. Nous entrons dans un magasin propre, à l'ambiance feutrée, aux murs couverts d'oeuvres d'art, où l'on nous accueille aimablement, puis un jeune homme qui parle un anglais impeccable nous invite à entrer dans son atelier. Il explique d'abord l'importance des pinceaux dont les poils émanent de divers animaux, suivant l'utilisation que l'on veut en faire et la finesse du trait que l'on souhaite obtenir. Sa voix est douce et posée, il s'exprime avec intelligence, ses mains se meuvent calmement et ses longs doigts déliés comme ceux d'un pianiste manient le pinceau et la feuille avec délicatesse. Après quoi, il demande à quelqu'un de se porter volontaire. Je me propose. Il me fait poser la main à plat devant lui, s'inquiète de savoir si cela ne me gêne pas qu'il dessine sur l'un de mes ongles, puis il propose aux autres de prendre une loupe pour observer ce qu'il fait. C'est époustouflant ! Sur même pas un centimètre carré, il réussit à représenter une scène de genre, avec des éléphants et divers autres personnages à l'intérieur d'un décor arboré ! Il nous dit qu'il a remporté un concours parce qu'il avait introduit le plus d'éléments sur la plus petite surface. C'est impressionnant. J'évoque le livre du Turc Orhan Pamuk, 'Rouge', qu'il connaît évidemment puisque le sujet en est justement le milieu des miniaturistes à Istanbul. L'auteur rapporte que le sort inéluctable des miniaturistes est de devenir aveugle en fin de carrière. Notre artiste répond qu'il y a réfléchi et qu'il changera de métier lorsqu'il aura quarante ans. C'est un sage. - Photo : Pour les détails les plus fins, les poils de queues d'écureuils servent à la confection du pinceau. -
- Photo ci-dessus : Extraite du site magnifique de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) : Combat d'éléphants composites montés par des divs. - Au verso, figure un poème persan de Jami calligraphié à Agra, en Nasta'liq, par le célèbre calligraphe indien Kashmiri Katib, pour le Nawab Shah 'Abd ul-Muttalib Khan, un amir de l'époque d'Akbar. Les divs, démons ou créatures malfaisantes, sont ici empruntés aux modèles iraniens traditionnels, avec une tête animale et un corps difforme. L'origine de cette composition, fréquente dans le bestiaire indien fantastique du XVIIIe siècle et du XIXe siècle et fort appréciée des Européens, n'est pas connue. Peut-être en trouvait-on déjà des exemples à l'époque d'Akbar ? On retrouve un combat d'éléphants composites très semblable à celui-ci au Victoria Museum, Melbourne, mais son exécution à Udaipur vers 1850 paraît bien postérieure. (F.R.) -
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